Financement de l’économie réelle ou définancement réel de l’économie ?
Par Charles Menye – Président du Comité Citoyen de Vigilance Financière – CEMAC
Tribune – Les banques de la zone CEMAC affichent des performances financières flatteuses. En 2024, leurs bénéfices cumulés ont frôlé les 450 milliards F CFA, pour un total bilan de 26 000 milliards. Et pourtant, l’économie réelle suffoque.
Les crédits au secteur productif s’érodent. Les investissements structurants peinent à trouver des financements. L’industrie locale, l’agriculture, la transformation et l’économie circulaire restent marginalisées dans les portefeuilles bancaires. La logique dominante ? Un capital bancaire très actif… dans des activités peu utiles.
C’est ce qu’il faut désormais nommer clairement : le définancement réel de l’économie. Derrière des apparences de soutien, certains financements organisent en réalité le contournement du tissu productif local, au profit de logiques extractives, spéculatives ou rentières.
Distinguer le financement utile du financement parasite
Dans un contexte marqué par l’urgence sociale, la dépendance extérieure et la fragilité de nos monnaies, tous les financements ne se valent pas. Il existe deux types de financement pour deux visions de l’économie.
Le financement utile qui soutient la transformation locale, la création d’emplois durables, la résilience industrielle, la souveraineté alimentaire ou énergétique.
Le financement parasite, lui, se nourrit des ressources nationales pour les orienter vers l’extérieur : exportation brute, achats massifs à l’étranger, projets sans ancrage ni valeur ajoutée locale.
Le problème central ? La régulation actuelle ne distingue pas les deux. Elle les traite de manière identique. Pourtant, les effets macroéconomiques sont radicalement opposés.
Le cas AFG Bank – Camalco : un financement parasite maquillé en soutien stratégique
Le 26 mai 2025, AFG Bank Cameroun accorde une ligne de crédit de 82 milliards FCFA à Camalco, filiale locale du groupe australien Canyon Resources. Objectif : financer les infrastructures du projet de bauxite de Minim Martap (wagons, locomotives, installations portuaires). Ce projet est présenté comme un levier de croissance pour l’économie camerounaise.
Mais dans les faits, aucune transformation locale n’est prévue, Peu ou pas d’emplois industriels durables. De plus, l’équipement est importé en devises, et le minerai est exporté à l’état brut.
Ce crédit est un parfait exemple de financement parasite : il mobilise l’épargne locale pour accélérer la sortie de richesses nationales.
Pire encore, il contribue à un phénomène sous-estimé l’érosion des réserves de change de la BEAC. En finançant massivement des importations et des exportations non transformées, ces projets alimentent la fuite de capitaux, fragilisent le franc CFA, et aggravent la dépendance monétaire des États de la CEMAC.
Le cas BGFI Bank Cameroun – STRICAM & APC : un exemple concret de finance utile
À l’inverse, les 12 et 13 juin 2025, BGFI Bank Cameroun signe deux conventions avec :
- STRICAM (Bertoua) : production d’eau, de jus, et recyclage de 17 280 tonnes de plastique par an.
- Africa Processing Company (Mbankomo) : transformation de 8 000 tonnes de cacao par an, avec un chiffre d’affaires de 500 millions FCFA.
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Ces projets valorisent les matières premières locales, en maintenant la valeur ajoutée dans le pays. Ils créent des emplois industriels directs, qualifiés et pérennes. La conséquence directe est réduction des importations (boissons, produits plastiques) et donc la sortie de devises.
Ils s’inscrivent également dans une logique d’économie circulaire, en recyclant localement les déchets plastiques.
Leur impact dépasse largement l’entreprise. À l’échelle macroéconomique, ces financements contribuent à renforcer la balance commerciale, en limitant les importations tout en stimulant la production locale. Sur le plan monétaire, ils réduisent la pression sur les réserves de change de la BEAC, contrairement aux projets extravertis qui les fragilisent. Financièrement, ils créent des actifs productifs, durables, et génèrent un effet multiplicateur sur les filières locales (transport, logistique, emballage, distribution).
En d’autres termes, ces crédits ne se contentent pas de financer une entreprise : ils renforcent la résilience de l’économie nationale dans son ensemble.
Et pourtant…
Rien, dans la réglementation actuelle, ne vient les distinguer ou les encourager.
Aucune bonification. Aucun bonus prudentiel. Ils sont traités comme n’importe quel autre crédit, y compris ceux qui détruisent l’environnement, importent massivement ou font fondre nos réserves de change.
Par Charles Menye | Président du Comité Citoyen de Vigilance Financière – CEMAC
Passionné par la finance durable et la transformation ESG (Environnement, Social, Gouvernance), avec une expertise en gestion de projets de développement, en finance et une expérience multiculturelle à l’intersection de l’Afrique et de l’Europe, mon ambition est de bâtir des partenariats solides, et favoriser un impact systémique durable.
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