►►Dans les hauteurs enveloppées de brume du territoire de Masisi, en République démocratique du Congo (RDC), une guerre silencieuse se livre, pas uniquement pour des terres, mais aussi pour un minerai stratégique qui alimente l’économie numérique mondiale.
RUBAYA (RDC)- Dans les hauteurs enveloppées de brume du territoire de Masisi, une guerre silencieuse se livre, pas uniquement pour des terres, mais aussi pour un minerai stratégique qui alimente l’économie numérique mondiale. Rubaya, village isolé dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), se retrouve une fois de plus au centre d’un conflit armé enraciné dans les entrailles d’un sous-sol convoité.
Depuis avril 2024, les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) contrôlent les précieuses mines de coltan de Rubaya. Ce minerai, contraction de colombite-tantalite, est la source principale du tantale, métal rare indispensable à la fabrication des smartphones, des avions de chasse, des implants médicaux et d’autres appareils électroniques de pointe. Selon les Nations Unies, Rubaya fournirait à elle seule environ 15% de l’approvisionnement mondial.
UNE MINE SOUS CONTROLE DU M23
Accrochée aux flancs escarpés des collines fracturées du Masisi, la mine de Rubaya se déploie comme un escalier creusé dans la poussière. A plus de 2.000 mètres d’altitude, ce n’est pas seulement une économie verticale, c’est une épreuve d’endurance.
Lors d’une mission de terrain arrachée après plusieurs semaines d’entretiens avec le M23, les journalistes de Xinhua ont dû s’appuyer sur des bâtons taillés à la hâte, avançant pas à pas derrière des guides locaux sur des sentiers friables. L’air s’amenuise à chaque mètre gagné, les pieds s’enfoncent dans les éboulis. Mais les mineurs congolais, eux, dansent presque sur les pentes, aussi souples et sûrs que des antilopes des montagnes, forgés par les années dans cette rudesse devenue routine.
Sous la surface, de minces puits verticaux s’enfoncent dans une obscurité étouffante. Chaque jour, des équipes de 60 à 70 hommes descendent dans ces boyaux resserrés, armés de lampes frontales et de quelques outils rudimentaires. A coups de pioche, le minerai est arraché à la roche, puis hissé vers la lumière par un système de relais improvisé. Plus la descente s’approfondit, plus l’air se fait dense, vicié. A l’entrée de chaque puits, des pompes à oxygène grondent sans relâche, cordons ombilicaux fragiles entre la vie et l’asphyxie.
Au sommet, c’est un autre monde. Un marché de fortune s’anime dans le vacarme: sachets d’eau, beignets chauds, lampes torches et bottes s’échangent à la volée. Des femmes portent des caisses sur leurs têtes, des enfants traînent des sacs pleins de gravats. La montagne entière vibre sous la foule, fourmilière humaine animée par un instinct vital.
Tout autour, des combattants du M23 veillent, postés dans des abris de fortune ou patrouillant les sentiers. Ils inspectent, notent, régulent.
Un responsable rebelle affirme que quelque 10.000 mineurs sont « enregistrés ». En réalité, leur nombre pourrait être bien supérieur. « Les bons jours, on extrait jusqu’à 70 kg », explique un contremaître d’un champ de mines. « C’est toujours un pari, mais ici, l’expérience paie. »
Malgré les déclarations du M23 interdisant l’accès aux femmes enceintes et aux mineurs, des adolescentes et de jeunes garçons sont visibles dans la zone. « Les armes sont interdites dans la mine. C’est une preuve de l’amélioration », assure un officier rebelle.
Un creuseur local, sous couvert d’anonymat, a affirmé qu’à Rubaya, presque chaque enfant passe la moitié de sa vie dans la mine. « Ici, les minerais ne sont même pas enfouis profondément comme ailleurs », a-t-il confié. Sur le marché local, chaque sac lui rapporte au minimum 47 dollars, prix encore modique pour un fardeau arraché à l’enfance.
DES CHAINES D’APPROVISIONNEMENT « CONTAMINEES »
Avec l’arrivée du M23, Rubaya est devenu, selon l’ONU, l’épicentre de la plus grande contamination des chaînes d’approvisionnement minérales dans la région des Grands Lacs depuis dix ans.
Paradoxalement, les salaires ont augmenté. Les mineurs artisanaux, qui gagnaient moins de trois dollars par jour sous l’autorité de l’Etat, voient leur revenu doubler, ce qui fait partie de ce que les observateurs voient comme une double stratégie d’incitation et de coercition.
« On est payé selon ce qu’on extrait. C’est dur, mais mieux payé », a confié un mineur sur place. « Honnêtement, on est mieux payé depuis qu »ils (M23) ont pris le contrôle », selon le mineur ayant requis l’anonymat.
D’après les rapports du Groupe d’experts de l’ONU publiés en 2024, le M23 a mis en place de facto un « ministère chargé de l’exploitation des minéraux », contrôlant la production, réservant les ventes à des acheteurs agréés et monopolisant les voies d’exportation vers le marché mondial, en transit par des pays voisins.
Les rebelles imposent aussi des taxes : sept dollars par kilo de coltan, quatre dollars par kilo d’étain. Cela représenterait, selon l’ONU, plus de 800.000 dollars de revenus mensuels pour environ 120 tonnes exportées depuis Rubaya. « Le chiffre réel est bien plus élevé », a estimé un villageois local, qui a gardé l’anonymat.
Les rapports des Nations Unies ont noté qu’en plus de l’extorsion financière, les civils locaux sont soumis à des travaux forcés, et beaucoup d’entre eux sont contraints de construire des routes et de transporter du minerai sous la contrainte.
Les communautés locales ont également été forcées à « salongo », un terme autrefois utilisé pour décrire le travail communautaire volontaire, mais maintenant réutilisé pour signifier le travail obligatoire et non rémunéré, pour la réparation et l’entretien des routes essentielles au transport du minerai.
Lors d’un briefing au Conseil de sécurité des Nations Unies en 2024, Bintou Keita, représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la RDC, a alerté : « Les revenus tirés du coltan permettent au M23 de maintenir sa machine militaire, d’exploiter les civils et de torpiller les efforts de paix ».
Elle a dénoncé l’établissement d’une « administration parallèle » par les rebelles : des gouverneurs, des fonctionnaires miniers, une structure de gestion mimant un Etat. « Cela affaiblit l’autorité centrale et érode la souveraineté nationale dans l’est du pays », a-t-elle averti.
By Xinhua