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De l’obsolescence programmée des appareils : L’Afrique comme autoroute et grand cimetière électronique du monde

 De l’obsolescence programmée des appareils : L’Afrique comme autoroute et grand cimetière électronique du monde

 

 

© Blanchard MAKANGA [ Tribune libre] – Cette contribution découle des observations générales inhérentes aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) fabriqués en Chine et dans les pays occidentaux. En effet, il s’observe que certains amas de ferraille non fonctionnels et usés, du bazar, du bric-à-brac, n’ont pas pour dernières demeures leurs lieux de fabrication ( . C’est ainsi que, quel que soit leur état respectif de fonctionnement, ces appareils prennent souvent des directions différentes, dont celle de l’Afrique. Cette partie du monde devient ainsi, bon gré mal gré, l’un des curieux bénéficiaires de ces appareils, faisant de ce continent un cimetière mondial des produits usagers.

La présente analyse a donc pour but de réfléchir sur la problématique des appareils électriques et électroniques qui écument aujourd’hui les déchetteries des capitales africaines. Car, il n’est pas rare d’en trouver dans les rues des grandes agglomérations africaines. Malgré les implications de certains éco-environnementalistes constitués en lanceurs d’alerte, c’est-à-dire des ONG ou les Sociétés Civiles, certains gouvernants peinent encore à prendre de bonnes décisions à ce sujet et les populations en pâtissent.

De toute évidence, la plupart des pays africains ne sont pas fabricants de ces appareils. A contrario, la proximité et les usages de ces produits d’importations souhaités ou non voulus par ses populations, en font un cimetière ouvert aux avantages divers. Dans ce cas, est-il juste de penser que ces appareils souvent en fin de vie programmée sont, in fine, un avantage ou plutôt un inconvénient pour les consommateurs, en l’occurrence ceux de l’Afrique au sud du Sahara ? Autrement dit, est-il juste de penser ou de considérer que ces appareils sont, in fine, bénéfiques aux consommateurs (en l’occurrence les consommateurs d’Afrique subsaharienne) à la fin de leur vie programmée ?

Mais d’abord, qu’est-ce que l’obsolescence programmée des appareils ?

L’obsolescence programmée (des appareils) est une date de péremption planifiée des produits. C’est un ensemble de(s) techniques mises en place par des fabricants, pour réduire de manière délibérée la durée de vie d’un produit, en l’occurrence des appareils. Le but de ces fabricants est, irréfutablement, d’augmenter le taux des remplacements desdits appareils au gré des achats faits par le consommateur.

L’obsolescence programmée des produits comporte, de ce fait, plusieurs enjeux à savoir les enjeux économiques, les enjeux politiques, ainsi que des enjeux environnementaux. Les enjeux économiques touchent les secteurs économico-financiers, les enjeux politiques englobent la gestion des firmes vouées à la fabrication de ces produits (électriques et électroniques) et les politiques de ventes y dédiées. Les enjeux environnementaux quantà eux, sont relatifs aux conséquences et aux impacts que ces objets électroniques occasionnent aux cadres de vie humains et aux écosystèmes. Sur ce dernier aspect aux impacts préjudiciables pour les populations et les écosystèmes, il est urgent de limiter les effets néfastes y relatifs par le recyclage et la réparation de ces appareils. Étant donné qu’ils sont conçus pour se détériorer très vite, les réparer ou les recycler restent l’un des moyens durables de transformer et de prolonger leurs espérances de vie pour de besoins de durabilité et de préservation de l’environnement.

Ainsi, comme le sont les organismes humains, c’est-à-dire naturellement programmés eu égard à leur biodégradabilité cellulaire, les appareils électriques et électroniques sont de plus en plus conçus à leur image. En d’autres termes, ces appareils ont la même trajectoire existentielle que l’homme pour qui la programmation de la mort est biologique, en comparaison aux appareils qui, eux, sont programmés techniquement pour s’assurer une autodestruction fonctionnelle. C’est ainsi que ces produits conçus pour mourir à l’image de l’homme sont devenus des objets fabriqués à ces fins. En un mot, ils sont fabriqués pour se désintégrer très vite dans un dessein consumériste.

 

 

 

Le cas des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE/D3E) importés de l’Occident

De gigantesques décharges à ciel ouvert se développent à une vitesse exponentielle dans la plupart des grandes villes africaines. On les trouve notamment dans certaines capitales politiques, administratives ou dans des villes portuaires où atterrissent les produits manufacturés en provenance de l’Occident et très souvent fabriqués en Chine.

S’agissant de déchetteries à grande échelle, l’un des exemples le plus connu et mondialement répandu est celui de la déchetterie d’Accra. Elle est située dans la banlieue de cette capitale du Ghana, dans une bourgade qui se trouve non loin du marché d’Agbogbloshie. Cette déchetterie est source de situations critiques pour les personnes qui y travaillent ou habitent ses environs. Comme à Accra, ce phénomène existe aussi à Ndjaména au Tchad, ainsi que l’atteste un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) visible en ligne, qui s’en était inquiété en son temps.

D’ailleurs, certains organismes internationaux dont les équipes d’Ushuïa nature ou Greenpeace qui sont très attachés à ces questions, s’en inquiètent également à juste titre. Ces entités dénoncent ainsi certaines pratiques des populations locales qui brûlent des produits de toutes sortes dans les déchetteries, comme c’est le cas à Accra et dans la plupart des grandes agglomérations africaines. Or, certains gaz impactant pour la santé humaine y issus sont ainsi inhalés par les populations environnantes. Pour le cas d’Accra, de nombreux commerçants du marché et tous ceux qui le fréquentent sont affectés et touchés par les odeurs et les inhalations des fumées en provenance des déchets qui y sont brûlés. Très souvent, on trouve dans beaucoup de ces déchets électroniques, des gaz très dangereux pour la santé humaine, animale et végétale, mais aussi des métaux rares. Ces matières rares issues des appareils électriques et électroniques associés aux déchets organiques, sont très recherchées et énormément sollicitées sur le marché local voire international. C’est dans cette optique que les appareils qui se trouvent dans ces déchetteries sont parfois carbonisés par une catégorie d’individus qui s’y intéressent pour en extraire certains métaux précieux. Parmi ces métaux importants et précieux figurent des métaux rares, aux premiers rangs desquels se trouvent l’or et le cuivre.

 

Or, les gaz toxiques présents dans certains de ces appareils volontairement brûlés tels que les réfrigérateurs, les ordinateurs, les climatiseurs et autres appareils de même type, soumettent ainsi certaines catégories de personnes à un risque réel d’expositions potentiellement cancérigènes. Les personnes les plus fragiles sont généralement celles déjà malades. Il s’agit entre autres des sujets âgés, des femmes enceintes, ainsi que des enfants souvent accompagnés de leurs parents dans ces grands lieux de commerce général devenus des marchés grand public. Bien sûr, ces catégories de personnes jugées fragiles sont plus impactées à l’issue de ces produits brûlés à ciel ouvert. Des substances nocives comme le plomb, l’arsenic ou le cadmium par exemple, sont présentes dans ces produits carbonisés par les chercheurs de cuivres et d’or entre autres. De ce fait, certaines personnes sont souvent abandonnées à des niveaux très élevés d’expositions diverses. Par conséquent, quelques particules polluantes touchent les aliments et d’autres produits de commerce avoisinants. C’est d’ailleurs le cas pour le marché d’Agbogbloshie d’Accra et des personnes environnantes situées non loin de la déchetterie.

Malheureusement, la capitale du Ghana est loin d’être la seule ville africaine touchée par cette situation. Nous l’avons souligné, ce phénomène en rapport aux appareils de seconde ou de troisièmes mains est présent dans la plupart des villes africaines, en Afrique Subsaharienne surtout. C’est donc dans ce même contexte que la déchetterie de Mindoubé à Libreville au Gabon s’inscrit sur cette longue liste.  Mindoubé est un quartier de Libreville qui était à la base une bourgade peu habitée, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis quelques années en effet, cette zone périphérique de Libreville est devenue un quartier très habité. La déchetterie qui s’y trouve est devenue une véritable nourrice ou plutôt une « mère nourricière » en produits de toutes sortes. Elle se révèle être, malgré tout, un grand espace commercial dans lequel certaines catégories de personnes trouvent leur compte. Dans ces conditions, personne ne pourra être surpris d’apprendre que, comme à Accra ou à Ndjaména, les populations environnantes ainsi que les nappes phréatiques de cette zone, soient victimes de contaminations issues des dépôts de certains produits à risques. Car, comme c’est le cas dans les déchetteries de ces grandes villes pris en exemple, celle de Mindoubé connaît aussi l’extraction de certains métaux dits rares par le biais de la carbonisation des déchets, notamment les appareils électroménagers. De toute évidence, ces pratiques accentuent le niveau d’exposition multiforme des populations aux différents risques liés à cette pratique, à cause du mercure et d’autres produits hautement nocifs qui en découlent.

 

 

L’Afrique, premier cimetière électronique du monde 

 

Sous prétexte d’élan de solidarité humanitaire de la part de certains pays européens, des pays comme la France, les Royaume-Unis, l’Allemagne ou la Belgique, offrent « généreusement et gracieusement » des produits manufacturés déjà utilisés à certains pays d’Afrique. Il s’agit de produits divers dont les vêtements font le plus grand des contingents. À côté de ceux-ci figurent certains appareils en fin de vie ou presque. C’est ainsi que l’on y trouve différents types d’appareils dont l’électroménager, l’électronique dont des ordinateurs et d’autres objets usagers souvent inscrits dans le cadre d’aide humanitaire. Or, ces différents pays dits développés savent pertinemment que ces produits sont, pour eux, des déchets en réalité. Ils savent aussi que ces produits ne pourront pas connaître des alternatives heureuses en Afrique en matière de tri durable, vu que les centres de traitements y sont cruellement absents. Et, souvent, les sociétés placées au départ de la chaîne de fabrication de ces objets électriques, mécaniques, électroniques et autres sont en Asie en l’occurrence en Chine, considérée aujourd’hui comme l’usine du monde. Il est à noter que certains de ces produits industriels générés à grande échelle, sont d’abord consommés en Occident en première main. Bien évidemment, tous les produits à destination de l’Europe, sont soumis aux différentes réglementations européennes, c’est-à-dire aux normes qui conditionnent leurs rentrées et sorties du territoire européen avant leurs importations et exportations. Ces pays identifiés comme étant des primo consommateurs et exportateurs desdits produits, se retrouvent donc en amont, c’est-à-dire au sommet de la chaîne de consommation et de distribution. Puis, au gré de leurs usages par les populations de cette partie du monde, certains de ces produits font un second voyage vers des horizons où ils semblent engendrer plus de maux qu’ils n’en procurent des avantages. Autrement dit, ces produits de seconde main, de troisième main voire de quatrième main, renaissent et retrouvent un second souffle de vie dans certains pays tropicaux, dont le continent africain, sous différentes facettes. Ils sont ainsi soumis à la consommation des populations malgré tout.

Il s’avère donc que le problème des déchets à caractère électrique et électronique est aussi important, bon gré mal gré, que vital et mortifère en Afrique, car ces déchets sont aussi dangereux qu’utiles en réalité. Car, en même temps, ils contribuent, a contrario, à faire vivre de nombreuses familles grâce au commerce informel qui se développe dans ces milieux, vu que des trafics de toute part s’y développent. À n’en point douter, ces trafics persévèrent par la volonté des Africains eux-mêmes, étant donné que les importations de ces produits ne peuvent être rendues possible que grâce à un accord ou une complicité entre acteurs locaux et personnes extérieures. Ces produits destinés, en principe, à la destruction, à la réforme, au reconditionnement ou au recyclage dans les pays développés, se transforment, malheureusement, en source de vie en Afrique. Et, en même temps, ils sont source de maladies et de décès dus à la pollution écoenvironnementale y relatifs. Un véritable dilemme !

 

 

L’on constate que ce phénomène omniprésent dans certaines grandes agglomérations perdure et peine à être régulé ou éradiqué par les autorités locales de l’Afrique subsaharienne. Cet état d’esprit laisse penser que les gouvernants africains y trouvent leur compte et préfèrent ainsi laisser le phénomène perdurer parce que celui-ci contribuerait à booster les économies parallèles et informelles locales. Autrement dit, à défaut d’interdir ces réseaux d’importations et d’exportations des produits électromécaniques dans leurs pays respectifs, certains gouvernants des pays d’Afrique Noire préfèrent laisser prospérer ce type de pratiques. Car, nous l’avons dit, elles concourent de plus en plus aux commerces informels et aux économies parallèles dans cette partie du monde et boostent les économies locales.

Tout compte fait, ce genre de trafics blâmables pour le respect et la dignité humaines et des écosystèmes, prospère pour des raisons économiques de tous les côtés de l’Atlantique et du pacifique.

Les conséquences environnementales inhérentes à ces échangent ne sont pas, à ce qui se constate, une priorité pour les uns et les autres. Or, l’enfouissement et la carbonisation de certains de ces produits sont une bombe à retardement pour ces États subsahariens sur les plans sanitaire et environnemental. Malheureusement, les populations locales sont des contribuables non éduquer, non informés et non formés sur ces questions. Ils sont pour la plupart ignorants de leurs droits et, de ce fait, ils ne peuvent ni ne savent les faire valoir dans le but de faire reculer leurs autorités locales à ce sujet. En fait, ces préoccupations environnementales, bien que contraires aux problèmes écosanitaires, ne sont pas, en réalité, une préoccupation de premier plan pour une certaine catégorie des populations africaines déjà occupées à rechercher de meilleures conditions de vie et d’existence. Par conséquent, les exigences écoenvironnementales, au même titre que celles relatives à leurs droits fondamentaux tels que les libertés de pensées et de se soigner, tardent à prendre forme dans les jeunes démocraties subsahariennes. Pendant ce temps, les appareils obsolètes et les composants dangereux qu’ils comportent transforment les villes dans lesquelles ils habitent en cimetières. Or, ces immondices génèrent la pollution écosytémique et fabriquent des fantômes qui hantent la qualité de vie des populations, parce qu’elles souffrent des conséquences liées aux produits brûlés et impactant tels que le mercure, le plomb, etc.

Conclusion

Comme pour conclure, il ressort de cette contribution que les Asiatiques, dont la Chine et beaucoup de pays occidentaux, préfèrent se débarrasser de leurs déchets, dont des appareils électroménagers, sous forme d’aides et de dons matériels. Heureusement, l’exportation de ces produits est, de plus en plus réglementée en Europe notamment. Malgré tout, tous ces appareils usagers pour la plupart, parce que déjà utilisés en amont, jalonnent les rues et les déchetteries des grandes agglomérations et des capitales africaines. Ils font de l’Afrique une autoroute des déchets à ciel ouvert, faisant de ce continent le plus grand cimetière électronique du monde. C’est sans doute une bonne nouvelle pour les Occidentaux qui parviennent à se débarrasser de leurs déchets encombrants, mais c’est loin d’être le cas pour les Africains qui en meurent a contrario.

D’ailleurs, il en va de même pour le climat de la planète-Terre pour qui les conséquences environnementales et sanitaires fragilisent davantage son équilibre. La situation est la même pour les hommes et les écosystèmes locaux face aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), qui devront être mieux réglementés en Afrique qu’ailleurs. Dans ce sens, tous ces déchets importés qui souillent la dignité des populations africaines, méritent d’être détruits dans leurs lieux de fabrication (Chine) et de première consommation (Occident). Certes, les activités relatives à ce milieu constituent une manne économique pour beaucoup de familles africaines qui y trouvent des sources de revenus, mais rien ne vaut la vie. Si certaines personnes arrivent à subvenir aux besoins de leur famille respective en recourant à ces produits et pratiques dévalorisantes, il revient aux gouvernants de ces pays africains de trouver des alternatives durables à cette problématique existentielle, vitale et mortifère à la fois. Aussi bien existentielle, vital que précaire, ce trafic mérite de s’estomper malgré tout. Quoi que l’on dise à ce sujet, ce phénomène est à notre sens une très mauvaise nouvelle pour l’Afrique d’une part. Et, d’autre part, pour l’environnement et la planète, étant donné que les conséquences y relatives impactent les populations et les écosystèmes locaux. Par conséquent, il serait raisonnable d’y mettre fin, car le recours à ces pratiques a une incidence grave sur les hommes, les animaux, les végétaux y compris les minéraux. Tous pourraient être durablement touchés et impactés de manière irréversible, ce qui est, indéniablement, une très mauvaise nouvelle pour l’Afrique, mais aussi pour la planète et le vivant.

 


Biographie

Né à Tchibanga (Gabon) en 1971, Blanchard MAKANGA est diplômé de philosophie de l’Université de Poitiers. Il est Chargé de Recherche à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH/CENAREST/GABON). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles sur les questions éthiques, environnementales, climatiques et technoscientifiques. Il a publié plusieurs textes en ligne et dans des journaux locaux (Gabon).

 

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