« Il faut enlever ta photo de mariage du salon », chronique de Charles Menye, Président du CVFC
Dans beaucoup de maisons, une grande photo de mariage trône dans le salon.
Elle rappelle le début d’une belle histoire, les promesses d’un avenir commun.
Mais parfois, cette photo reste là alors que l’amour s’est usé, que les gestes se sont refroidis, que le lien est devenu fragile.
Et pourtant, on garde la photo. Pour ne pas voir ce qui ne fonctionne plus.
C’est ce que fait le secteur financier en zone CEMAC.
Des bilans rassurants, mais des clients qui s’éloignent
Les institutions financières de la zone CEMAC affichent de bons résultats :
• des ratios de solvabilité conformes,
• une rentabilité soutenue,
• un maillage territorial dense.
Mais la réalité sociale raconte une autre histoire.
Les jeunes, les femmes, les indépendants se tournent vers des alternatives :
• mobile money,
• tontines numériques,
• coopératives rurales.
À Yaoundé, Douala, Libreville ou N’Djamena, de nombreux commerçants gèrent leur argent via WhatsApp et leur téléphone mobile. Ils disent : « La banque, ce n’est pas pour nous. »
Et pendant ce temps, les banques continuent de brandir leurs bénéfices, comme si cela suffisait à justifier leur place dans le futur.
Les signaux faibles : ce que les chiffres ne montrent pas
Dans un couple, il n’y a pas toujours de dispute.
Mais parfois, le silence, la distance ou l’indifférence disent tout.
Ce sont les signaux faibles.
En finance, ces signaux sont là :
• des comptes bancaires inactifs,
• des clients qui ne demandent plus de crédit,
• des produits bancaires peu utilisés,
• des usagers qui se débrouillent sans les institutions.
Ils ne figurent pas dans les bilans.
Mais ils annoncent une rupture à venir si rien ne change.
Les bailleurs, eux, regardent autrement
Des institutions comme l’IFC, le FIDA, l’AFD ou la KfW ont déjà changé de cap.
Elles financent aujourd’hui :
• des jeunes entrepreneurs sans garanties classiques,
• des projets mêlant technologie et inclusion,
• des innovations nées dans les marges.
Elles ne regardent pas la photo du mariage.
Elles financent ce qui répond aux besoins d’aujourd’hui.
Rouvrir les yeux, écouter le terrain
Le secteur financier de la CEMAC ne souffre pas d’un manque de capital.
Il souffre d’un manque d’écoute.
Ce n’est pas la stabilité financière qu’il faut abandonner.
C’est l’illusion qu’elle suffit à maintenir le lien avec le réel.
Il est temps :
• de regarder les signaux faibles,
• d’observer les marges,
• de créer des produits utiles à ceux qu’on ne voit pas,
• et surtout, d’enlever la photo de mariage au salon.
Conclusion
Une relation dure parce qu’on s’adapte.
Parce qu’on reste connecté à l’autre.
Parce qu’on comprend que les habitudes ne remplacent pas la présence.
Il en va de même pour la finance.
Le développement de l’Afrique centrale viendra d’une posture : plus modeste, plus attentive et surtout plus utile.
Par Charles Menye – Président du Comité Citoyen de Vigilance Financière – CEMAC (CVFC)
Contact : info@afrique54.net