« Pour une gouvernance de continuité sincère au Cameroun avec l’apport d’un conseil organisationnel reconsidéré »
Si dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, la mise en œuvre des politiques publiques montre des « résultats toujours inquiétants et peu rassurants » (Cf. S. Elischer., « Coups d’État militaires en Afrique : voici ce qui détermine le retour à un régime civil », The conversation, Université de Floride, 2023, pp. 2-3.), il n’est pas difficile de comprendre cette remontée d’une partie non négligeable de la jeunesse africaine contre les régimes démocratiques peu productifs.
Il n’y a donc qu’un pas pour celle-ci de soutenir ces régimes anti-démocratiques ou politico-militaires en effervescence en Afrique de l’Ouest, et particulièrement au Sahel depuis les trois dernières décennies. La gouvernance de continuité tant souhaitée, pourrait ainsi rencontrer le même contrepoids, si d’aventure elle est dénuée d’une sincérité véritable.
Le Conseil organisationnel, avec ses méthodes et techniques froides d’analyse, aident à s’assurer du mieux possible qu’il soit, pour bien cerner les fondements d’une telle témérité, bien qu’elle paraisse à priori légitime. Cette option de continuité repose-t-elle réellement sur la capacité des acteurs concernés à se convaincre eux-mêmes du potentiel physique, cognitif et managérial qui sous-tend leur envie de poursuivre à tout prix et avec le même entrain « sans transitions des rôles » ? (Cf. M. Bachir., Le métier de gestionnaire public à l’aube de la gestion par les résultats, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2008, pp. 494-495). Est-elle vraiment encore possible face à l’ampleur des revendications et des griefs qui lui sont opposés ? –La reconnaissance en toute honnêteté des limites et des résultats mitigés des politiques publiques parfois non assumées, est-elle suffisante pour convaincre les militants et leaders les plus résistants dans leurs appels incessants au changement ?
Si le même Conseil est révélé mieux placé pour apporter des réponses à toutes ces questions, convaincre l’opinion et les critiques sur la pertinence de cette gouvernance de continuité tant désirée dans un contexte défavorable, sans son apport, devient une problématique difficile d’entendement. Cette fonction capitale et opérationnelle au Cameroun, ne semble pas jusque-là assez consultée dans la recherche des solutions à de telles problématiques.
Il y a nécessité à la reconsidérer, en rapport avec la gestion axée sur les résultats et les principes de l’amélioration des performances organisationnelles, ainsi qu’à travers l’approche par les compétences qui la sous-tendent. Car, pendant que des pays comme le Nigéria et le Ghana sont devenus entre temps des puissances satellitaires et émergents, avec l’appui pertinent de leurs administrations publiques et surtout leurs Conseils organisationnels, d’autres pays peinent à retrouver cette voie. L’Alliance des États du Sahel (AES) et le Rwanda, semblent l’avoir compris, en dépit de l’instabilité socio-politique observée.
Cette fonction est organisée depuis 1969 avec la création d’un Service Central d’Organisation et Méthodes, placée sous la houlette de Christophe Atangana Fuda de regretté mémoire, digne fils du département de la Mefou et Akono, premier conseiller en organisation et méthodes au Cameroun, et la nomination, des tout premiers Conseillers en Organisation Administrative (COA) en 1992. (Cf. décret du Président de la République n°92/257 du 27 décembre 1992). La série de décrets qui est pris par la suite, montre toute l’importance que lui auraient accordée les décideurs à l’origine.
À titre illustratif, le décret n°71/DF/86 du 24 février 1971 portant création de la fonction de COA, le décret n°78/472 du 03 novembre 1978 allouant une indemnité mensuelle de sujétion à certains personnels en service à l’Inspection Générale de l’État et de la Réforme Administrative (IGERA), le décret n°86/1213 du 06 octobre 1986 réorganisant les services de l’IGERA, le décret n°86/1213 du 06 octobre 1986 fixant les taux des indemnités de sujétion cumulés des Chefs d’Unités Techniques opérationnels de l’IGERA.
Tous ces décrets auraient-ils été signés inutilement pour que cette fonction organisationnelle soit clochardisée et foulée aux pieds aujourd’hui ? Les administrations publiques tardent encore à contribuer efficacement au développement du pays à cause de la faible considération de celle-ci. Elle était pourtant placée à l’origine dans une perspective d’extension et de consolidation prospective comme nous le montre le passage en 1969 de la Division de la Réforme Administrative (DRA) au Secrétariat Permanent à la Réforme Administrative (SPRA), en passant par la Division des Etudes et de la Réforme Administrative (DERA). Son caractère impartial a aussi contribué au choix des hauts cadres de nos différentes administrations à y postuler, avec comme exigences une licence au bas mot et un niveau de formation supérieure d’une durée au moins de sept années d’études. C’est donc par voie d’un concours de sélection serré que l’on est qualifié à l’exercice de cette fonction au Cameroun, au terme d’un stage de formation ardue à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
En dépit des frustrations comme des « appels à d’autres fonctions » sans suites et des « départs à la retraite » quelque peu précipités, ces hauts cadres de catégorie A2 sont ainsi certifiés en Organisation et méthodes, n’ont cessé de témoigner leur dévouement et patriotisme à travers leur remarquable contribution à l’amélioration de la qualité du service en matière fonctionnelle, organisationnelle et managériale au sein de l’Administration publique camerounaise (APC). Allusion est par exemple faite au projet d’élaboration des normes de rendement en vue de l’évaluation moderne des performances par poste de travail, de la migration de l’application du SIGIPES II à celle baptisée « Aigle » aujourd’hui, à la fierté de milliers d’agents publics dont le traitement des dossiers de carrière avec effets automatiques sur la situation financière de chacun.
L’appui du Conseil organisationnel s’est aussi fait ressentir dans la conceptualisation du principe salvateur des recensements des agents publics, à travers l’opération d’assainissement du fichier des personnels de l’État et de la solde. D’importantes gains financiers ont ainsi été réalisées et la masse salariale de l’Etat s’est vue stabilisée, grâce aux irrégularités identifiées et corrigées, donnant droit à l’ouverture de nouveaux concours de recrutements des jeunes diplômés de nos universités et Grandes écoles, etc. dans tout ce travail, l’on ne saurait oublier l’apport important des aînés Conseillers comme Urbain Noël Ebang Mve, Léon Bertrand Ngouo, Édouard Oum, Jeannine Sidonie Evehe, Emmanuel Lobé Yanga, Flobert Kwanga, Gervais Noah et bien d’autres, qui ont fait état de tout leur professionnalisme organisationnel et managérial pour conduire tous ces grands chantiers de modernisation de l’APC pendant plusieurs années.
Malgré cette importance révélée, comment comprendre ce peu de considération à elle accordée aujourd’hui, en dépit des problématiques organisationnelles persistantes à l’instar de cette question cruciale de gouvernance de continuité sollicitée à travers les prochaines élections, malgré le contexte tumultueux observé.
L’analyse holistique et épistémologique du management des organisations qui caractérise cette fonction, comme partout ailleurs, insiste pourtant sur son caractère dynamique et son champ illimité d’intervention pour des résultats systémiques plus efficaces. (Cf. H. P. Maders. (eds)., Conduire un projet d’organisation : guide méthodologique, deuxième édition, Paris, Editions d’Organisation, 2001, pp. 4-15 et H. Mintzberg., Structure et dynamique des Organisations, Paris, Les Éditions d’Organisation et Agence d’Arc, 1994, pp. 8-19). Tout étant lié au management et à la gestion, cette fonction transversale ne saurait se confiner au seul volet « réforme administrative ».
Les défis du développement sont si nombreux et étendus qu’une réintroduction de la carte d’inspection organisationnelle et managériale jadis réservée à tous les COA, s’avère aujourd’hui plus pertinente qu’il n’ y aurait aucune raison d’hésiter à la réintroduire dans la pratique, afin de couvrir tous les secteurs et les problématiques cruciales de l’administration et de l’action publique actuelles, sans obligation préalable de saisine, conformément au décret n° 86/1214 du 06 octobre 1986 relatif aux missions mobiles de contrôle et de vérification et aux missions d’organisation et méthodes toujours en vigueur.
Ce rétablissement institutionnel permettrait non seulement de réduire les faiblesses de cette fonction, liées à la collaboration institutionnelle, mais aussi résoudre le problème du droit de saisine qui limite encore l’efficacité de ses interventions, au-delà de contribuer à la détente du climat socio-politique pré-électoral tumultueux actuel observé. La décentralisation et le développement local, est également un vaste chantier de modernisation de la gouvernance locale qui l’interpelle au plus haut point.
Pour transformer ce rêve de la gouvernance de continuité en une réalité sincère au Cameroun, à la veille des élections présidentielles au Cameroun, il faut redonner à cette fonction toute sa crédibilité d’antan tout en la plaçant dans sa perspective de consolidation graduelle de départ, en termes de structuration et de fonctionnement.
Ses avis restent toujours peu connus du grand public, ou manquent cruellement aux solutions attendues pour la paix durable et la sécurité de nos institutions en périodes électorales. La dynamique de départ qui semble avoir été perdue, doit être restaurée, avec l’apport managérial des concernés au premier chef. Cette fonction ne saurait continuer de subir une évolution au gré des humeurs du politique, elle est une fonction technique et non d’occasion de récompenses amicales ou de chapelle, au risque de la clochardiser.
Les problèmes organisationnels et fonctionnels de notre jeune administration publique sont de plus en plus préoccupants sur la base de ses effectifs croissants et des recrutements à caractère social. Des études approfondies, menées au sein de l’organe faitière, à savoir le Secrétariat permanent à la réforme administrative (SPRA), auraient certainement abouti aujourd’hui à une véritable cartographie des métiers, qui rendraient davantage ces administrations productives avec un impact plus visible sur la croissance et l’amélioration du bien-être des usagers, des agents publics eux-mêmes et des populations en général.
Sur le plan de la gestion, cette fonction aurait perdu ses repères du fait d’un management par des responsables issus des autres corps de métier, en lieu et place des COA, formés normalement à cette fin. Les difficultés qui en ont découlé ont davantage confiné son rôle dans la posture consultative et des avis, perdant ainsi la vision prospective de départ.
Or, il est démontré que toute structure vidée de sa vision de pérennité et de progressivité, est appelée à disparaître. L’absence d’intervention de ses acteurs dans la résolution de la problématique de gouvernance de continuité sincère posée, en constitue une des preuves qui confirment cette perception. La Conseil organisationnel est un instrument stratégique pour implémenter toute politique publique dans un État moderne, conformément aux objectifs de la SDN 30 et de l’Agenda 2063 des Nations-Unies auxquels le Cameroun a souscrit.
Sur le plan purement organisationnel, son rôle tiré qui tire sa force de son caractère impartial, sa proactivité et ses méthodes par voies d’entretien et de sondages d’opinions, sont autant de prérequis qui militent en faveur de cette restructuration du SPRA tant réclamée, soit en un Établissement Public Administratif (EPA) pour mieux exercer ses missions transversales en matière des stratégies et de suivi des politiques de modernisation des administrations et du développement de l’État, soit en un « Secrétariat d’État à la Réforme Administrative ». Les missions transversales d’une telle structure imposent son placement en staff et non en line par rapport à l’organe de tutelle et son champ étendu d’intervention.
Sur le plan politique, cette fonction est appelée à agir librement et de plein droit pour rendre coercitif l’usage des outils élaborés en son sein, le cadre organique, le guide de l’usager ou le manuel de procédures sont loin d’être des outils de tiroirs ou de complaisance, faute de force de contrainte et de sanctions pour non application ou non- respect des exigences de leur contenu.
Une gouvernance de continuité sincère se serait normalement appuyée sur le bilan de migration de cette fonction stratégique en un véritable corps de métier, assortie d’une redéfinition profonde des missions et de préférence placée au sommet de la hiérarchie de l’organisation gouvernementale, après tant d’années d’existence. À défaut de recours péniblement à l’expertise de ses principaux acteurs, à la veille des élections présidentielles, l’idéal serait de les impliquer officiellement dans la gestion des politiques et du processus électoral, en collaboration avec les organismes dédiés, à travers les différents cadres institutionnels et organisationnels créés.
De même une véritable consolidation de la démocratie ne pouvant se faire sans la prise en compte des systèmes politiques traditionnels africains (Cf. J. Owona., Les systèmes politiques précoloniaux au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2015, pp. 2-6.), de même il est important d’y associer les analyses de la fonction organisationnelle. Elle serait par exemple mieux placée pour amoindrir les effets néfastes de l’intrusion de hauts commis de l’État dans le pouvoir traditionnel, dès lors qu’il a été démontré l’influence parfois regrettable de ceux-ci sur le processus électoral et surtout la qualité du militantisme qui tarde à s’éveiller dans certaines de nos circonscriptions électorales et nos formations politiques.
Il en serait d’ailleurs de même pour ce qui est du retard et des dysfonctionnements généralement décriés dans l’implémentation des politiques publiques en dépit des compétences transférées aux élus locaux et les chefferies traditionnelles à travers les comités de quartiers et de village créés à cet effet, pour accompagner plus efficacement la décentralisation et du développement local. Pour une gouvernance de continuité sincère, des études issues de ces imminences du Conseil organisationnel à la retraite ou en activité, sont d’une importance capitale pour avoir plus de clarté sur toutes ces questions.
Ce Conseil aura également été pertinent pour gérer la crise économique et financière des années 1993 à 2005 au Cameroun. La réduction de la masse salariale de l’État et les opérations d’assainissement du fichier solde et personnels de l’État, y compris les liquidations, restructurations, concessions et privatisations des structures publiques et parapubliques, auront constitué les moindres maux à l’encontre des agents publics, sous le conseil de la fonction organisationnelle qui par ailleurs permit d’offrir plusieurs options aux travailleurs tant du secteur public que privé pour se tirer d’affaire avec moins de douleurs sur la durée.
Des gestionnaires ayant eu du mal à satisfaire aux exigences de performance proposées à défaut d’audits véritables et de redditions des comptes, certaines mesures également suggérées ont eu du mal à impacter la croissance économique du pays en dépit des efforts du gouvernement. Pour réduire à leur plus simple expression ces dysfonctionnements qui perdurent, et permettre d’avoir plus de visibilité dans cette gouvernance de continuité tant désirée, le Conseil organisationnel doit pleinement jouer son rôle. /-
Par Dr. Roger Dieudonné Mvogo, Expert en Conseil organisationnel et Management
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