En juillet 2018, quelques mois avant l’élection présidentielle du 7 octobre de la même année, Roger Etomo Zogo, originaire de l’arrondissement de Sa’a, met sur le marché un livre au titre fort évocateur et suffisamment parlant : Lékié, Acteur ou Marionnette? Avec pour sous-titre: Regard sur plusieurs décennies au côté du pouvoir. Le livre a été fabriqué pour les éditions du Schabel de Haman Mana. Il a comme préfacier le Dr Hilaire Kamga, promoteur de l’Offre Orange. Quelques jours après sa publication, la dédicace de l’ouvrage a lieu le 24 août 2018 à la Fondation Muna, un autre symbole.
Dans la préface, Hilaire Kamga indique que : « Les désillusions que vivent les populations de la Lékié et d’autres populations sur l’échelle du territoire national avec leurs lots de misère, ne peuvent connaître leur fin que sauf changement de paradigme ; et par voie de conséquence, l’avènement de l’alternance politique. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’auteur soutient avec confiance que la Lékié n’a rien à craindre de cette alternance, quelle que soit par ailleurs l’origine communautaire de celui qui l’incarne. Au contraire, tout est à gagner, à la seule condition que l’alternance ne reproduise pas le modèle ancien. (…) L’auteur a cru devoir réfléchir sur la nécessaire réforme dans le RDPC Lékié, si ce parti veut rester dans la course. Mais la dimension pour le moins utopiste de cette espérance induit que l’on affirme que le sort de la Lékié dépend de l’alternance politique au Cameroun ». Le préfacier tombe le masque. Il est donc d’évidence que cette production éditoriale rentre dans la campagne contre le président Paul Biya. La Lékié apparaissant comme un bastion majeur du Renouveau National, la diabolisation du parti dans ce département pourrait aider à atteindre cet objectif.
La fausse question de la succession de Ndongo Essomba dans la Lékié
Le 31 mai 2023, le panafricaine Jeune Afrique, dans son édition électronique, publie un article intitulé : « Au Cameroun, entre Benoît Ndong Soumhet et Henri Eyébé Ayissi, qui sera le patron de la Lékié ? »
Pour le magazine fondé par Béchir Ben Yahmed, « dans le marigot politique camerounais, les obsèques des personnalités sont autant des moments de lamentations publiques que des opportunités de positionnement politique. En avril dernier, la cérémonie d’inhumation de Jean Bernard Ndongo Essomba, ancien président du groupe parlementaire du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC au pouvoir) à l’Assemblée nationale, décédé le 17 mars, n’a pas fait exception. (…) Deux acteurs politiques se sont affrontés en coulisses, afin de s’affirmer et devenir le nouvel homme fort de la circonscription : Henri Eyébé Ayissi, ministre du Cadastre et des Affaires foncières, et Benoît Ndong Soumhet, ministre chargé de mission à la présidence de la République. Un duel fratricide interne au parti au pouvoir. »
Cette hypothèse de Jeune Afrique, confrontée à la réalité, donne à voir qu’elle est tirée par les cheveux. En effet, l’Honorable Ndongo Essomba au-delà d’être président du groupe parlementaire RDPC à l’Assemblée nationale était Chef de la Délégation Permanente Régionale du Comité Central du Centre et membre du Bureau politique. De manière plus explicite, Ndongo Essomba n’avait pas formellement de responsabilité politique dans le RDPC, au niveau de la Lékié, en dehors de sa qualité de Député. Alors, sa disparition a laissé vide son poste de président du groupe parlementaire RDPC auquel l’a remplacé le député Roger Melingui. Alors que pour les pontes du régime, originaires de la Lékié, Gabriel Koa Songo, député de la circonscription d’Okola aurait dû le remplacer, comme l’on voit souvent, ailleurs le frère remplacer le frère. La hiérarchie du parti a décidé autrement. Et, les responsables locaux se sont pliés à cette sage décision dans la mesure où le sommet du parti a, toujours, une meilleure maîtrise des enjeux et ses décisions sont fonction de ceux-ci.
Le défunt « Roi du cacao » était aussi membre du Bureau politique du RDPC. Selon l’article 26 des Statuts du parti, « le Bureau politique assiste le Président National dans la conduite des affaires du Parti en dehors des réunions du Comité Central. » Celui-ci se compose de « trente (30) membres appartenant au Comité Central dont: vingt (20) élus par ce dernier sur proposition du Président National ; dix (10) désignés par le Président National. » Eu égard à ces dispositions, on peut subodorer que c’est le prochain Congrès du parti qui pourra répondre à la question relative au remplacement de l’Honorable Ndongo Essomba au Bureau politique. Pour ce qui est de son remplacement à la tête de la Délégation Permanente Régionale du Centre, la prérogative revient à SE Paul Biya. Selon l’article 28 des statuts, « le Président National peut créer, aux niveaux régional et départemental des Délégations permanentes du Comité Central chargées de coordonner les activités du parti ».
Les dernières nominations à ces postes ont eu lieu en 2016. C’est à cette occasion que le ministre Henri Eyébé Ayissi avait été désigné comme Chef de la Délégation Permanente Départementale du Comité Central de la Lékié. Ce qui corrobore à suffisance que la disparition du patriarche Ndongo Essomba ne cause formellement pas de vide au sommet du parti dans la Lékié. Le ministre Henri Eyébé Ayissi l’a si bien signifié dans son allocution de circonstance, lors des obsèques du Patriarche Ndongo Essomba. « Je prends la parole en ma double qualité de Chef de la Délégation Permanente Départementale du Comité Central du RDPC de la Lékié (…) Je porte la voix des Militantes et Militants des neuf (09) Sections RDPC du Département de la Lékié », déclarait-il devant un parterre de personnalités au nombre desquelles le Secrétaire général du Comité Central RDPC, le Vice-premier Ministre Jean Nkueté, et des membres du gouvernement.
La Lékié, un mastodonte politique
De ce point de vue, il devient plus qu’évident qu’il y a des acteurs qui travaillent à voir le RDPC imploser dans cette partie non négligeable du Cameroun afin de tirer les marrons du feu. Ceci, certainement à cause du poids politique de la Lékié. Ce département, en 2010, avait une population estimée à près de 286050 habitants. Il compte 09 arrondissements et représente 09, 23% de la population de la Région du Centre et 01, 35% de la population du Cameroun, soit la 18 ème position. Dans les Régions du Centre, du Sud et de l’Est, après le Mfoundi, qui a une population cosmopolite et donc difficilement maîtrisable sur le plan politique, la Lékié est le deuxième réservoir démographique de ces trois Régions. En plus, l’homogénéité sociologique de ses populations garantit un meilleur contrôle politique de celles-ci.
C’est certainement ce qui a amené le Président Paul Biya à y effectuer deux visites historiques dans le chef-lieu de ce département, Monatélé, en 1992 et en 2004.
Lors de sa visite de 1992, le Président National du RDPC confesse être à l’aise dans le Lékié et salue le patriotisme de ses populations. « Le Président de la République se sent partout chez lui, au Cameroun, mais ici, dans la Lékié, ici à Monatélé, parmi vous, hommes et femmes de courage, parmi vous planteurs de cacao, au milieu de vous ; chers amis agriculteurs, il se sent tout particulièrement bien. (…) Vous avez su dire non au chaos, Vous avez su dire non aux villes mortes, Vous avez refusé l’anarchie… », déclare-t-il à l’occasion de cette visite historique.
Il est donc constant que la Lékié, du fait de son poids démographique et politique ainsi que de sa fidélité au Président de la République Paul Biya, est l’objet de toutes les convoitises pour ceux qui veulent accéder au pouvoir. Et pour son contrôle, tous les moyens sont mobilisés par ces apprentis-sorciers : diabolisation du RDPC, manipulation et désinformation diverses afin de susciter des querelles fratricides entre les fils de la Lékié, etc. Toutes les méthodes sont mises à contribution pour la mise sous tutelle du département. L’union sacrée des fils et des filles de la Lékié est la voie de la sagesse. Elle reste la seule solution qui vaille s’ils ne veulent pas voir leur département devenir un géant aux pieds d’argile.
Par S.M. Julien NGA EBEDE, Conseiller Municipal/Section RDPC Lékié-Ouest I
