[ Chronique ► de Christian YABASSI : La volonté générale, cas du Mali
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Ce petit discours s’adresse essentiellement à ceux-là qui veulent nous faire comprendre que, la dizaine de milliers de Maliens qui est sortie le vendredi 14 janvier 2022, en réponse à l’appel à manifestation par le militaire Assimi Goïta, est plus dû à la légitimation par ceux-là de son “magistère” que autre chose. Ce modeste discours s’adresse aussi à ceux-là qui veulent nous faire comprendre que ces Maliens qui sont sortis représentent la volonté du peuple malien dans son ensemble.
Avant de commencer, je souhaiterais que tu médites sur ce morceau (qui a trait à notre discours) issu de l’ouvrage : “Emile ou De l’éducation” de Jean Jacques Rousseau :
“A l’instant que le peuple considère en particulier un ou plusieurs de ses membres, le peuple se divise. Il se forme entre le tout et sa partie une relation qui en fait deux êtres séparés, dont la partie est l’un et le tout moins cette partie est l’autre. Mais le tout moins une partie n’est pas le tout ; tant que ce rapport subsiste il n’y a donc plus de tout mais deux parties inégales. Au contraire, quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui-même, et s’il se forme un rapport, c’est de l’objet entrer sous un point de vue à l’objet entré sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors l’objet sur lequel on statue est général, et la volonté qui statue est aussi générale.” ( Émile ou De l’éducation, p.842).
Avant d’entrer spécifiquement dans le vif du sujet, permettez-moi de vous dire d’abord que la dernière sortie des Maliens n’était pas forcément pour démontrer particulièrement que les Maliens légitiment Assimi Goïta, étant contre la transition du pouvoir aux civils ; beaucoup de personnes en insinuant assènent cela à tort.
De ma modeste analyse, c’était plus pour répondre à l’appel de Goïta qui a demandé aux Maliens de sortir pour manifester contre les sanctions diplomatiques et économiques opérées par la CEDEAO. Il y a de quoi honorer cet appel pour certains vu l’impact économique qui touchera principalement les Maliens.
Pour d’autres c’était un moyen de faire brandir leur patriotisme en dénonçant la présence de la France au Mali. Pour d’autres, bizarrement, c’était pour solliciter l’intervention de la présence russe au Mali au détriment de la France. Pour plus d’un, c’était le résultat du mimétisme. Mais pour une partie aussi, c’était un moyen d’apporter son soutien au Colonel (il a sûrement des personnes qui ont foi en lui). Mais sur quelle base rationnelle affirmer que ces manifestants sont tous sortis pour démontrer leur légitimation du magistère actuel de Goïta, ou pour démontrer leur désintérêt de la transition du pouvoir aux civils tel que préconisé par la CEDEAO et la communauté internationale ? Prendre une position absolutiste ici est simplement un péché scientifique.
Ceci dit, il faudrait qu’on sache ce que c’est que la volonté du peuple ou volonté générale (terme créé par Jean- Jacques Rousseau dans “Du Contrat Social” et même dans ses œuvres précédentes comme Émile ou…), tout en ayant en esprit que cette volonté est différente de la volonté de la majorité (qu’on retrouve plus dans le cadre des élections).
Avant, c’est quoi un peuple ?
Selon Larousse, un peuple est une population fixe d’un pays en ce qu’elle forme un ensemble, un tout solidaire sous le même gouvernement. De là, la volonté du peuple ne peut être que la volonté unanime de l’ensemble du peuple relativement à une situation donnée et si on s’en tient au sens donné à cette notion par son concepteur. Autrement, on ne peut que parler de la volonté du peuple malien en accord avec la position d’Assimi Goïta si le peuple malien (plus de 20 millions d’habitants) dans son ensemble est d’accord avec cette position. Vu qu’en pratique cet état de chose est impossible, étant donné que le concepteur de cette notion était plus dans la théorie que la pratique lors de sa création, vu les moyens à disposition, restreignant la possibilité de mener un sondage pour avaliser l’unanimité du peuple à cet effet…, dans le cas spécifique de cette manifestation , l’usage de la volonté du peuple, pour expliquer la mobilisation malienne à la place de l’indépendance n’est pas la meilleure. On emploie souvent cette notion abusivement ; j’ai parallèlement eu à le faire dans le passé…
La volonté de la majorité
Contrairement à la volonté du peuple, la volonté de la majorité est ce dont une grande partie de la population désire pour une situation donnée, dans des conditions spécifiques. C’est le terme approprié à utiliser dans le cadre des élections quand il y a une victoire ; parce que par rapport à un OPPOSANT, le vainqueur a obtenu la grande partie des suffrages disputé entre les deux. Aussi parce qu’avant l’élection il y a eu une possibilité donnée au peuple de venir changer des choses (qu’une frange ne souhaite pas forcément) en s’inscrivant dans des listes électorales, etc. À noter que cette possibilité ne naît pas forcément par nécessité.
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Pour parler de la volonté de la majorité, il est impérieux qu’il y ait plusieurs entités qui se disputent l’acquisition de cette majorité. Par exemple des partis politiques, la partie d’un tout, etc. S’il n’existe pas une confrontation… confrontation pensée et voulue par ces entités, on ne pourrait pas parler de la volonté de la majorité. Dans ce cas, pareillement, l’usage de la notion volonté de la majorité, pour expliquer les manifestations du 14… relativement à la position de Goïta ne pourrait tenir vu qu’il y avait une seule partie qui sollicitait la majorité : la junte. Il n’était pas prévu ou envisagé lors de l’appel à manifestation par ce militaire un parti d’opposition…
En plus, sur quelle base plausible affirmer que cette partie de la population sortie manifester représente la majorité du peuple malien, vu même les explications antérieures ? Sur l’effet du visuel… ? Voyons voir !
Démontrons donc
Dans une élection présidentielle au Kirghizistan (environ 7 millions d’habitants), il y a 5 millions qui se présentent pour voter. Les 2 millions restant ne se présentent pas pour les raisons suivantes : neutralité politique, inconscience politique, objection de conscience (dû à la religion ou la perception péjorative de la politique), manque de temps, manque de moyens de locomotion, l’oubli, les restrictions confessionnelles, etc. Si in fine l’élection aboutit, l’expression des 5 millions d’habitants ne peut être perçue comme la volonté générale du peuple kirghize, dû au fait que, dans les 2 millions de personnes qui ne se sont pas inscrites, nombre d’entre eux l’ont fait contre leur gré ou pour des raisons personnelles. Comment dire donc avec insistance que l’expression des 5 millions représente celle du peuple dans son ensemble ?
Par contre, vu le modèle d’organisation des élections, et vu aussi a priori que plus de personnes ont bravé les contraintes que j’ai cité (dû au nombre inscrits pour l’élection), on pourrait parler de la volonté de la majorité plutôt, dans le cadre de cette élection en rapport avec les 5 millions d’électeurs départageable entre les partis politiques qui les solliciteront.
Dans cette même élection, il y a deux partis qui s’affrontent en vue de se partager les 5 millions de voix : le parti A et B. Vu que nous sommes dans une élection et que la majorité l’emporte, selon les canons de toute élection indépendamment de si la totalité de la population est électeur ou pas, on parlera toujours ici de la volonté de la majorité si plus d’électeurs penchent pour le parti A que le parti B, et non de la volonté du peuple, au vue de la définition donnée ici.
Revenons sur la manifestation d’hier au Mali. Les règles d’appel à manifestation diffèrent de celles applicables à l’organisation d’une élection. On ne peut pas dire que : comme dans une élection présidentielle il y a eu 5 millions d’inscrits sur 10 millions et une victoire à hauteur de 70 % des 5 millions par le parti A…, le même schéma doit s’appliquer(comme certains pensent) dans le cadre d’un appel à manifestation par un dirigeant qui n’a surtout pas pris le pouvoir en conséquence de l’expression de la volonté de la majorité(d’où tire-t-il sa légitimité ? ), mais bien par les armes. Pourquoi ? Et bien parce que dans cette situation, : celui qui fait appel à la manifestation n’a pas une légitimité offerte officiellement par la majorité du peuple(comme c’est le cas de l’organisation d’une élection, où l’organe de l’organisation de l’élection est indirectement nommé par le peuple par l’entremise du président élu) ; il existe aucun baromètre objectif en état d’utilité et accepté par la majorité pouvant nous dire si la foule représente la volonté de la majorité (dans une élection, l’urne est un baromètre utile et accepté) ; l’appel à une manifestation en rapport avec l’appel à une élection relève d’une action informelle sans mesure de contrôle et de suivi(avec une élection, on connaît grand choses de celui qui s’inscrit pour voter, et des tendances peuvent facilement être créées pour monitoring),etc..
Aussi, contrairement à ce que beaucoup ont pensé, pour démontrer que le reste de la population détermine si le reste de la population n’ayant pas manifesté est pour ou contre la position d’Assimi Goïta, dans le cas d’espèce, la nécessité de l’organisation d’une contre- manifestation n’est pas particulièrement importante ici. Il ne faudrait absolument pas que les plus de 19 millions de Maliens restant, manifestent contre… pour une affirmation de leur désolidarisation de la marche des quelques milliers de personnes ayant manifesté… pour des raisons suivantes : le manque de courage, la peur des représailles, la neutralité, etc.
On réussit un appel à manifester si on atteint ou on tend vers l’objectif qu’on s’est fixé… si on est dans la bulle du quorum escompté. Dans le cas d’espèce, on ne peut dire que Goïta a réussi cet appel en rapport avec sa position vu que le but était que la majorité des maliens sortent pour manifester. C’est le seul baromètre susceptible de juger de la réussite d’une manifestation non l’envergure d’une contre- manifestation à l’attention de l’appel à manifestation. Elle n’est pas nécessaire ici.
Comme j’ai essayé de démontrer ici, ce qui s’est passé hier au Mali en rapport avec la Position de Goïta, ne peut être appelé” volonté du peuple” ou de la majorité. Tout simplement, on peut simplement appeler cela : la manifestation d’une partie du peuple malien pour soutenir la position du Colonel Assimi Goïta.
Par Christian Yabassi, le Profane