Acteurs de la mondialisation : comment répondre aux défis du temps ? Quels leviers pour diriger le développement ?
[ Dr Magloire KEDE ONANA]
Le but de cette contribution est de convaincre les politiques qu’il n’y a pas de baguette magique pour développer un pays : La clé du développement, c’est la qualification des femmes et des hommes ». Il s’agit d’inventer des dispositifs d’action, des outils et des méthodologies permettant de stimuler les intelligences des concitoyens.
Il se construit de plus en plus aujourd’hui un nouveau monde où il n’appartient plus tellement aux « plus grands » de dévorer les « plus petits », mais davantage aux plus rapides de dévorer les plus lents, donc les moins compétents. Certes, cette vision du monde s’accompagne de risques, mais, il est question de « faire face à ces risques à tous les niveaux, en utilisant les moyens de communication permettant de « donner la parole et la chance à ceux qui ne peuvent se faire entendre ». Il s’agit là d’un processus irréversible, qui doit profiter à tous. Philippe Moreau Defargues, parlant des acteurs de la mondialisation (1997)1 distingue quatre principaux types d’acteurs : les individus, les entreprises, les Etats et les mouvements transnationaux. Tous sont transformés par elle, et s’y servent pour leurs buts propres.
L’individu : un acteur incontournable
Se préoccuper du sort des individus dans les sociétés émergentes commande d’octroyer dès la prime enfance à l’apprenant des savoirs : des savoir-faire, des savoir être, des savoir-vivre, en un mot de nouveaux outils culturels de nature à faciliter sinon son intégration, du moins son épanouissement intégral.
Traditionnellement, l’enfant parvenait à acquérir des connaissances et une culture générale suffisante d’abord en famille : premier pôle de transmission des valeurs, puis à l’école, l’autre pôle aujourd’hui en procès.
Toute la question ici est de savoir si, rendus à l’ère de la mondialisation, la famille ainsi désignée permettra à l’individu de disposer concrètement du droit fondamental de s’installer et de vivre là où il peut mieux s’épanouir ?
Pour Defargues, la mondialisation installe les individus dans des contradictions et dans l’arrachement ou le déracinement ; et aussi dans la solitude.
Nous pouvons le lire longuement en ces termes : « La pénétration des coins les plus perdus par les réseaux de la mondialisation contraint leurs habitants à bouger : du fait de l’amélioration de la santé, les populations augmentent, avec l’accroissement des rendements, beaucoup de bras deviennent superflus, les produits, les sons, les images venus d’ailleurs suggèrent des mondes lointains et excitants. L’individu mondialisé est déraciné […] C’est le paysan Chinois, désormais en surnombre, chassé par la mondialisation accélérée des campagnes, et échouant dans les gares des monstrueuses agglomérations. C’est le voyou de Rio de Janeiro ou de Bogota, vivant du trafic de la drogue, et devenant le maillon de l’une des innombrables toiles d’araignée de la mondialisation. C’est l’enfant prostitué de Bangkok ayant pour clients de très honorables Européens déversés par les charters du tourisme du sexe … ». Il « peut se croire pleinement indépendant : il n’appartient plus au groupe, il le choisit et, s’il le souhaite, le quitte ». Dépourvu de protection, il n’a plus de droits, ni même d’identité, il est supporté, toléré; il ne peut rien exiger, il ne peut que quémander». Cette préoccupation dévoile le sérieux problème de la prise en charge des individus dans leur rapport avec les communautés.
Le rôle des éducateurs
Les éducateurs ont pour ainsi dire un grand rôle à jouer, qui commande d’inclure dans le processus éducatif la formation du caractère à coté de celle de l’intelligence. Car, s’il est vrai que toute éducation reflète une société, aussi bien par les objectifs qu’elle propose, que par le portrait qu’elle fait de l’Homme qu’elle imagine, il va sans dire que la nouvelle culture qui est proposée aujourd’hui aux jeunes est faite pour les entraîner à l’autonomie. L’essentiel de l’éducation se faisant de plus en plus à l’école, le rôle de celle-ci devra prendre une importante croissante. Un peu héritier nous-mêmes d’une époque qui a vu s’accentuer la crise de la culture scolaire ; et celle d’une école séparée de la réalité quotidienne, la question à se poser, face à l’ampleur des défis, est celle de savoir comment comprendre qu’on parle subitement de « la culture d’entreprise» à des jeunes qui n’étaient pas préparés d’avance ? Les programmes scolaires du moment le prévoyaient-ils ? Coulés dans un autre moule, il faudra se résoudre à dépasser la dimension folklorique des « Salons de création d’entreprise », une idée pourtant si chère aux auspices, et intégrer une fois pour toute dans les programmes éducatif et scolaire, cette nouvelle donne culturelle. La tâche est immense. Un travail de déconstruction et de décolonisation des imaginaires s’impose, en ces temps du lancement du projet de création d’une banque des petites et moyennes entreprises, avec beaucoup de questions sur les conditions d’accès à ses services, mais moins de questions sur l’appropriation de la culture auto-entrepreneuriale.
Le problème se pose parce que contrairement à ce que pense très souvent l’opinion, l’entrepreneur : ce n’est plus «l’homme d’affaires » ; cet homme du quotidien qui arpente les escaliers et couloirs des ministères ; qui est partout et nulle part, un gros sac en main, toujours à la recherche du gain facile relevant du nombre de « marchés gagnés » ; généralement de manière illicite, ici et là dans ses réseaux de solidarités.
L’entrepreneur : c’est bien mieux et désormais un grand créateur des richesses et des services. Il doit, pour ce faire, avoir une trajectoire transparence ; une traçabilité dans ses affaires au quotidien, et une visibilité dans un espace bien déterminé. C’est un éternel consultant en mission au sens le plus noble du terme, qui sait résolument qu’il n’y a pas d’Homme cultivé, mais il n’ya que des Hommes qui se cultivent.
Comme une abeille qui butine les fleurs pour produire du bon miel, le bon entrepreneur, s’il se cultive et apprend en permanence, c’est pour réunir lui-même quelques qualités à savoir :
- la ténacité,
- l’esprit d’initiative,
- le sens de la responsabilité,
- la résistance aux chocs,
- la capacité de travail et de santé,
- l’enthousiasme, et l’aptitude à communiquer à l’autre son expérience,
- l’aptitude à réfléchir avant de décider,
- l’art et l’amour de vendre ses idées et de se vendre soi-même,
- la capacité à s’adapter au changement,
- la curiosité pour tout (entre autres : les NTIC ou les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les découvertes scientifique et technique, l’actualité politique, artistique, religieuse, économique et monétaire etc.)
- l’ouverture d’esprit et une bonne culture générale,
- le bon sens,
- l’altruisme,
- l’humilité,
- la vivacité d’esprit,
- savoir partir de l’idée au projet2
Toutes ces qualités doivent être considérées par le nouvel entrepreneur des temps modernes comme autant de moyens, plus que de l’argent, à l’aide desquels on dirige le développement quelque soit le cadre spatio-temporel. Condamné à vivre avec d’autres personnes plus illuminées, plus averties et outillées, le bon entrepreneur doit éviter la précipitation, le découragement, l’orgueil et l’imposture. Sinon, il risque, par rapport aux autres, résolument déjà engagés dans la bataille pour le développement, de sombrer dans des problèmes intermittents de contacts culturels, de choix culturels, voire d’influences et complexes réciproques de nature à assombrir son existence.
Le rôle des décideurs
Pour éviter la spirale des échecs, le rôle des décideurs et autres acteurs de l’école se voudra prépondérant. Car, très souvent l’institution scolaire laisse sortir de ses murs des cancres ; des milliers d’illettrés ; tous accablés par une scolarité obligatoire ou mal orientée qui ne répond plus aux défis du temps et qui, au bout du compte, ne leur aura presque rien appris. Cette situation, à en croire Philippe Meirien, Professeur des Sciences de l’Education est inquiétante. Il dénonce avec véhémence dans un autre contexte, le fait que « malgré les discours, malgré les réformes, l’Education nationale reste, d’un côté, une immense garderie et, de l’autre, le lieu de sélection d’une élite. La formation des jeunes n’y est toujours pas une vraie priorité » 3
C’est dire qu’ici comme ailleurs, les systèmes scolaire et d’éducation mis en place ne cessent d’enregistrer un pourcentage d’échecs très accentués, et les écoles, qui parfois ressemblent à des mouroirs deviennent au quotidien des dépotoirs de vieux élèves en quête permanente d’une cure de rajeunissement. Commence alors le périple du nomadisme scolaire : on change d’âge pour aller renaître ailleurs dans un établissement voisin. L’école devient parfois chez nous et malgré tout, une fabrique des cancres, des mal-aimés, des « mal-appris », et des mal-compris. Il faut désormais faire le deuil de cette école et trouver des stratégies pour « en finir avec l’échec scolaire » dans toutes ses dimensions.
Notre précédent auteur pense en outre qu’il est important de « redonner du sens aux apprentissages. En effet les enfants sont sollicités par la télé, par les jeux vidéo. Pourquoi se donneraient-ils du mal pour retenir des formules chimiques dont-ils ne voient pas l’intérêt? »4. Qui plus est « il faut donner aux élèves des méthodes pour apprendre. Presque tous les enfants sont intelligents, mais tous ne possèdent pas le mode d’emploi de leur intelligence. Comment retient-on une leçon? Comment réussit-on un devoir ? Le philosophe Antoine de la Garanderie a découvert que les écoliers étaient plutôt visuels, d’autres plutôt auditifs et a mis au point les principes de la «gestion mentale ». Il faut sous ce rapport et selon François de Closets « utiliser de nouveaux outils d’enseignements, entre autres, l’ordinateur par exemple, qui, à en croire les spécialistes permet à des adolescents illettrés, d’apprendre à lire, patiemment, à leur rythme. Au bout du compte, ils y parviennent et reprennent confiance en eux-mêmes, de manière spectaculaire.»5 De telles préoccupations ne peuvent être opératoires que si :
– on adapte les modes d’enseignement à la diversité des enfants,
– l’épanouissement de l’enfant passe avant sa réussite au niveau scolaire.
L’urgence d’un sursaut collectif
Dans un monde où l’alternative, c’est désormais : créer ou disparaître, il est urgent, pour que les autres ne nous aident pas à disparaître rapidement, de crédibiliser nos systèmes pour enfin former des hommes totaux, qualitativement, voire quantitativement aptes à bien s’intégrer ; aussi bien dans le devenir de leur cité que partout ailleurs où l’idée de « la compétence n’a point de frontière » devient un leitmotiv. François de Closets, dans le texte cité, tirait ainsi dans le contexte qui est le sien, les leçons d’un système en panne de créativité en ces termes : « Que l’école donne à tout élève une place, ce serait déjà très bien, mais qu’elle lui ouvre un chemin, ce serait tellement mieux. Non pas l’une de ces routes connues et balisées qu’il faut aussi emprunter, mais un chemin bien à soi, que l’on trace pas à pas, une étoile en tête pour unique boussole : l’itinéraire d’une seule vie construite jour après jour avec l’obstination de ce facteur cheval qui toujours allait à pied et chaque soir ajoutait un caillou du chemin au palais
de ses rêves».6 C’est dire en fin de compte que si l’école actuelle est en panne de créativité, à cause de la crise accentuée de la culture scolaire évoquée plus haut, il faut trouver des voies et des moyens pour la faire passer « de l’école de la dépendance à l’école de l’autopromotion ».7 Cette nouvelle école restera l’unique qui, à long terme, préparera la jeunesse à affronter l’avenir avec sérénité et confiance.
Il s’agit là d’un souci, voire d’un sursaut collectif qui, pour se traduire dans les faits, va provoquer :
- l’adaptation régulière des programmes de formation dispensés dans les établissements scolaires aux exigences de la modernité ;
- la construction et l’équipement des établissements scolaires ;
- la mise à profit et la pérennisation des enseignements et expériences vécues ;
- l’émergence d’une nouvelle classe d’auto-entrepreneurs issue des classes moyennes ;
- la création effective des entreprises, des banques des PME : instruments essentiels de la lutte contre le chômage et le désœuvrement des jeunes.
Au lieu donc de priver par exemple une bonne partie d’élèves des avantages pédagogiques qu’offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les nouveaux opérateurs économiques, une fois organisés et formés, pourront enfin apporter une aide notable aux jeunes, en âge de préparer un concours ; de demander ou de créer un emploi. Ils pourraient aussi développer en eux, l’auto-apprentissage et l’accès facile aux professions libérales et au savoir universel.
Cette argumentation a le mérite de mettre en évidence la véritable pierre d’achoppement existant généralement dans le type de rapport que les chefs d’entreprises connus, ici comme ailleurs, entretiennent avec les jeunes diplômés. Tout se passe toujours, du moins à mon sens, comme si les premiers avaient peur des seconds, ou alors tiennent ces derniers en mince et médiocre estime. Dans un contexte comme le nôtre, où l’avenir des Etats va désormais se mesurer à leur capacité de stimuler les intelligences des concitoyens, tous capables de construire des savoirs, devenus de plus en plus des pouvoirs, il est temps de sonner le tocsin, pour qu’enfin, le « Feyman » ; « l’homme d’affaires », cèdent la place à l’entrepreneur digne de ce nom ; au consultant et qu’ailleurs, plus loin de nous, l’appellation d’ « immigré » disparaisse au profit de celle de«coopérant ».
Il s’agit certes d’une mission difficile. Mais tout peut être décisif et effectif si les décideurs mettent en place des stratégies, des outils et la méthodologie idoine qui donnent à comprendre que la création des richesses et des services n’incombe plus au premier chef aux aventuriers sans foi ni loi ; qui ont malheureusement un accès trop facile à l’argent et aux richesses de la République (accès à la propriété foncière, vente aux enchères, saisies sous huitaine, etc.). Le noble et délicat secteur d’activité d’entrepreneuriat incombe à ceux qui ont été formés, et qui ont vocation de futurs cadres d’entreprises. L’enjeu d’une telle prise de position est que les jeunes, à en croire Albert Marlin, vice-président de L’Institut PRESAGE, « ont besoin de guides qui les aident à comprendre la société, à concrétiser leur désir d’entreprendre, à se former, et non qui les incitent à se plaindre. Il se pourrait que l’on manque cruellement de pédagogues. Ou plus exactement, d’adultes capables de pédagogie »
Pour conclure
De tous les acteurs de la mondialisation connus, l’individu contemporain a besoin de guides pour ne point sombrer dans la solitude. Nous restons de ceux qui pensent que pour aller vite, il faut aller seul. Mais pour aller loin, il faut aller avec les autres. Les politiques d’éducation et de formation doivent veiller à l’approfondissement des ces idéaux. L’Education résultera pour ainsi dire, soit de l’action d’autrui, soit de l’être même qui l’acquiert qui, enfin de compte, pourra diriger son propre développement. Dans l’un et l’autre des cas à considérer, il y aura comme une sorte de conditionnement permanent et implicite. Contrairement à l’instruction, qui recherche toujours le volontaire et l’explicite, la tâche reste de savoir concilier éducation et instruction.
Pour approfondir :
-Lire :
1- AZEYEH Albert, « De l’école de la dépendance a l’école de l’autopromotion », article publié dans les ANNALES de la FA.L.S.H. Université de NGaoundéré-
Cameroun, vol III, 1993, p.132
2- DEFARGUES MOREAU Philippe, La mondialisation, Paris, PUF, 1997,127pages.
3-KEDE ONANA Magloire, Le droit à l’éducation en Afrique. Enjeux et perspectives à l’ère de la mondialisation,Paris, L’Harmattan, 2007, 178pages. :
4-Le guide du créateur d’entreprise, publication du salon de création d’entreprise, tenu en Novembre 2001-Février 2002, initié par Le Chef de L’Etat Camerounais Son Excellence Paul BIYA
5-MEIRIEN Philippe, cité par Agnès BAUMIER et Marie-Laure de LEOTARD
dans l’article ≪ Il faut en finir avec l’échec scolaire ≫ publié dans L’EXPRESS du 03/04/1997
6- Francois de CLOSETS, Le bonheur d’apprendre. Et comment on l’assassine. Editions du Seuil, Paris, 1996, p.346-347
Dr Magloire KEDE ONANA
Né au Cameroun. Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Yaoundé, j’entame en 1990 une carrière d’enseignant de philosophie, devenue par la suite assez fulgurante. Ancien Proviseur des Lycées, j’ai éprouvé en 2004 le vif besoin de consacrer une recherche universitaire pour prendre le recul sur mon expérience.
Formé parallèlement en master d’Administration et Gestion des Entreprises à L’IAE de Bordeaux, et de surcroît titulaire d’un doctorat nouveau régime en philosophie de l’éducation obtenu à L’Université Paris-Est, mes travaux de recherches portent sur les politiques publiques d’éducation ; les valeurs humaines fondamentales que la tradition philosophique a mises au jour ; l’équité et la qualité dans l’éducation, les questions de gouvernance éducative, de l’innovation sociale en rapport avec la gouvernance des territoires ,et sur toutes les questions liées à l’amélioration individuelle, à l’émergence, et au développement durable de l’Afrique et son rapport au reste du monde.
Avec un groupe d’amis, nous nourrissons en ce sens un projet d’application pour suite de nos recherches. Les présentes orientations sont le fruit de cette œuvre phénoménale. Vous nous verrez à l’œuvre !!!
1 Philippe Moreau Defargues, La mondialisation, Que-sais-je ? PUF,Paris 1997, 127
2 Lire a cet effet : Le guide du créateur d’entreprise, publication du salon de création d’entreprise, tenu en Novembre 2001-Février 2002, initie par Le Chef de L’Etat Camerounais Son Excellence Paul BIYA
3 Philippe MEIRIEN cite par Agnes BAUMIER et Marie-Laure de LEOTARD
dans l’article ≪ Il faut en finir avec l’echec scolaire ≫ publie dans L’EXPRESS du 03/04/1997
4 Ibid, p.4
5 Francois de CLOSETS, Le bonheur d’apprendre. Et comment on l’assassine.
Editions du Seuil, Paris, 1996, P.346-347
6 Francois de Closets, ibid. p.346-347
7 Albert AZEYEH, De l’ecole de la dependance a l’ecole de l’autopromotion,
article publie dans les ANNALES de la FA.L.S.H. Universite de Ngaoundere-Cameroun, vol III, 1993, P. 132