Chine-France: des échanges littéraires avec une évolution à travers les siècles [ Multimédia ]
► Dans l’effervescence intellectuelle du Quartier latin à Paris, la librairie Phénix s’érige comme un bastion de la culture orientale. Entourée de librairies historiques et de cafés où résonnent des débats philosophiques, elle propose une plongée singulière dans la littérature asiatique.
Récemment, au travers de publications soignées sur ses réseaux sociaux, la librairie a mis en exergue des chefs-d’œuvre de la littérature chinoise, désormais accessibles aux francophones, tels que « Messieurs Ma, père et fils » de Lao She et « L’Ère de la supernova » de Liu Cixin.
Ces traductions, fruits d’un riche héritage de dialogues interculturels entre la Chine et la France, offrent un aperçu de l’âme chinoise tout en enrichissant le patrimoine littéraire français. Elles symbolisent un pont entre deux mondes, tissant un réseau de compréhension et de respect mutuels qui s’est étoffé au fil des siècles.
UNE HISTOIRE ANCREE
La traduction littéraire entre la Chine et la France a débuté il y a plusieurs siècles, mais c’est au XVIIIe siècle qu’elle a pris une ampleur significative, avec des figures telles que le missionnaire français Joseph-Marie Amiot. Ce dernier fut parmi les premiers à introduire en France des textes dramatiques chinois, dont « L’Orphelin de la famille Zhao ». Cette œuvre a captivé des esprits comme Voltaire, qui s’en est inspiré pour son propre « L’Orphelin de la Chine ».
Ce dialogue littéraire initial a jeté les bases d’un intérêt européen accru pour les perspectives et les philosophies orientales, stimulant les échanges intellectuels et favorisant une appréciation mutuelle plus profonde.
Au XIXe siècle, les traductions se sont diversifiées, avec l’introduction de textes philosophiques tels que le « Dao De Jing » et « L’Art de la guerre ». Ces œuvres, traduites pour la première fois en langues européennes, ont révélé un nouveau pan de la sagesse chinoise ancienne et ont été largement étudiées par les intellectuels français.
Cette circulation d’œuvres chinoises vers la France a été complétée par un mouvement inverse significatif à la fin du XIXe siècle, marqué par l’introduction en Chine d’œuvres françaises telles que « La Dame aux camélias » d’Alexandre Dumas fils. Cette période a vu un afflux de littérature française en Chine, avec des auteurs comme Hugo, Balzac, Stendhal, et Dumas père devenant extrêmement populaires et influençant profondément les goûts littéraires et les perspectives culturelles en Chine.
Au XXe siècle, ces échanges se sont intensifiés, favorisant une connaissance mutuelle et un respect accru entre les deux cultures.
Des traducteurs comme l’ancien professeur de l’Université de Nanjing Zhang Xinmu jouent un rôle crucial en présentant la littérature française du XIXe siècle au public chinois, tandis que des intellectuels comme le vice-président de l’Association des traducteurs de Chine Liu Chengfu se rappellent des discussions sur Sartre et l’existentialisme, populaires dans les campus universitaires chinois à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
Yuan Xiaoyi, directrice de l’Institut Si-Mian pour les études avancées en sciences humaines de l’Ecole normale supérieure de l’Est de la Chine, souligne l’impact de ces œuvres européennes, qui ont aidé sa génération à redéfinir son identité culturelle à travers le prisme de la littérature occidentale.
LE PRESENT EN EXPANSION
Depuis les années 1980, la littérature chinoise a pris son essor international, dynamique illustrée par l’invitation en 1988 de plusieurs écrivains chinois, dont Lu Wenfu, par le ministère français de la Culture. Ce tournant marque l’élargissement de l’intérêt de l’édition française, qui a commencé à explorer au-delà des figures établies telles que Lu Xun et Ba Jin pour se concentrer sur les voix contemporaines de la Chine.
L’année 1988 a également vu la publication d’une anthologie significative, « La Remontée vers le jour, nouvelles de Chine (1978-1988) », qui a mis en avant la littérature chinoise à partir de 1978, soulignant l’importance croissante des récits modernes dans le dialogue culturel franco-chinois.
Roger Darrobers, un éminent sinologue français, rappelle lors d’une interview récente accordée par écrit à Xinhua, l’intérêt constant pour le chinois en France depuis les années 1970, notant que « le chinois est devenu l’une des langues non européennes les plus enseignées dans les écoles françaises, souvent avec plus de demandes que d’offres disponibles ».
La visibilité de la littérature chinoise en France a atteint un sommet avec Mo Yan, dont la consécration par le prix Nobel en 2012 a été largement couverte par les médias français, générant un intérêt renouvelé pour des auteurs tels que Yu Hua et Yan Lianke.
Zhang compare les œuvres littéraires à « une fenêtre ouverte sur la société », permettant aux lecteurs français de « découvrir les nuances de la Chine moderne ».
Cette interaction enrichit la compréhension mutuelle, un point souligné par Liu Chengfu, dont le travail a été reconnu par des figures telles que les présidents français François Hollande et Emmanuel Macron.
La traduction de « Villa Kérylos » par M. Liu en 2021 et la lettre de remerciement du président Macron illustrent l’impact profond et continu de ces échanges littéraires, qui enrichissent non seulement le paysage culturel, mais fortifient également les liens entre la France et la Chine.
VERS UN AVENIR RADIEUX
La traduction littéraire, art et mission cruciale, permet de faire dialoguer les sagesses de l’Orient et les philosophies de l’Occident. Les traducteurs comme M. Liu voient dans leur travail une manière de soulager les malheurs humains liés aux conflits culturels. « Je souhaite que ma traduction apporte un réconfort spirituel et contribue à résoudre certains conflits », confie-t-il.
Depuis près de trente ans, Mme Yuan traduit des œuvres françaises contemporaines. dont « Le Mythe de Sisyphe ». Elle trouve que la traduction littéraire est un « pont formidable pour la compréhension mutuelle ».
Darrobers, expert en drame chinois, explore la philosophie néo-confucéenne, notamment l’œuvre de Zhu Xi. Il encourage les étudiants à s’immerger dans la culture chinoise pour apprécier sa diversité.
La culture française, riche et nuancée, avec son flair romantique qui imprègne littérature, peinture, sculpture, musique et architecture, est un terrain fertile pour les traducteurs comme M. Liu. En préfaçant « Rouge Brésil » de Jean-Christophe Rufin, il établit un parallèle entre sa vision et celle de l’auteur, valorisant la diversité culturelle. « La traduction littéraire agit comme un miroir des sociétés, facilitant une meilleure compréhension mutuelle », conclut-il.
La traduction littéraire est aujourd’hui bien plus qu’une transmission de mots d’une langue à l’autre. Elle sert de pont entre les cultures, facilitant la compréhension et la coopération internationales. Les efforts des traducteurs comme M. Liu ne se limitent pas à l’échange littéraire ; ils contribuent également à apaiser les tensions culturelles et à enrichir notre perception mondiale.
Ainsi, en avançant vers l’avenir, le rôle des traducteurs en tant que médiateurs culturels devient crucial. Leur travail aide à former une vision plus inclusive et harmonieuse du monde, démontrant que, même face à des défis mondiaux, les échanges culturels peuvent ouvrir la voie à plus de compréhension et de respect mutuels.■