Patronat -Gicam : Célestin Tawamba à quitte ou double
Malaise fiscal, management chaotique, manque de stratégie… Les critiques contre le patron des patrons fusent. Pour garder son poste il mène une discrète campagne avant l’heure. Enquête.
Qui sera le prochain président du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) ? Cette question est en suspens à cause de la pandémie du Coronavirus. Pour cause, les patrons s’inquiètent du ralentissement de l’activité économique. Et malgré tout, l’élection patronale de décembre prochain est dans tous les esprits. La preuve, les grandes manœuvres ont débuté d’un côté comme dans l’autre.
Célestin Tawamba, le président sortant, est le seul qui avance ses pions, pour l’instant, à visage découvert. Depuis le début de l’année, il multiplie les subterfuges dans le but de rassurer les patrons. Cet agro-industriel de 53 ans, qui avait été plébiscité en 2017 pour un mandat de trois ans, ne fait aucun mystère sur ses ambitions. Mais contrairement à 2017, où il partait avec les faveurs des pronostics, le patron des patrons doit composer cette année avec une cote en berne. Il a fortement érodé son capital sympathie. La faute à son maigre bilan.
Tout avait pourtant bien commencé. En juin 2018, un an après son élection, Tawamba s’enorgueillissait même du dynamisme du patronat à l’occasion de la 126e assemblée générale du Gicam. Une victoire prématurée puisque, très rapidement, les premiers signes d’essoufflement ont commencé à se faire ressentir. Le dynamisme a cédé la place à l’atonie. « La motivation a foutu le camp », fait savoir un cadre du Gicam.
Ce dernier s’amuse à décrire les journées monotones de la trentaine de personnes qui travaillent au siège du patronat dans le chic quartier de Bonandjo, à Douala. « On devise généralement dans un bureau, ensuite on va à la pause », raconte notre source. Qui ne doute pas que le patronat a besoin d’un nouveau souffle.
Sans doute, Tawamba est lui aussi parvenu à la même conclusion. C’est pourquoi, en janvier dernier, il admoneste le personnel rassemblé pour une sorte de réunion de crise. Son courroux est compréhensible parce qu’il a gagné en 2017 avec pour slogan de campagne « le Gicam en action ». A rebours de cette promesse, le patron des patrons est désormais au centre d’un procès en inconséquence. C’est en réalité l’incompétence de son équipe qui est mis à l’index. Tawamba sait qu’il doit remettre de l’ordre dans tout ce désordre s’il veut être réélu. Il enjoint désormais ses collaborateurs à travailler comme on le fait dans une entreprise et de faire du Gicam « une vitrine ».
Sauf qu’il faut plus que des mots pour réveiller la flamme. Tawamba a récemment confié à certains de ses proches qu’il envisage de dégraisser le personnel. Le but de l’opération est de gagner en qualité en poussant à la sortie tous ceux qui sont soupçonnés d’incompétence. Le Gicam s’apprête donc à contacter des chercheurs de têtes. Toutefois, le timing de ces recrutements reste gardé comme un secret d’alcôve, à moins qu’il n’en existe aucun, pour l’instant. Des confidences recueillies au sein du Gicam s’accordent à dire que ce dégraissage pourrait être l’une des premières mesures de Tawamba s’il obtient un deuxième mandat.
Par contre, le dossier le plus urgent est celui de l’identité du secrétaire exécutif, le véritable chef d’orchestre de l’administration du Gicam. Après une longue période de sursis, Tawamba est plus que décidé de se séparer d’Alain Blaise Batongué (ABB), l’actuel secrétaire exécutif. La cohabitation entre les deux hommes n’a vraiment jamais été paisible. Au contraire, elle a toujours été empreinte de suspicion. Pour comprendre pourquoi il faut remonter en 2017, quelques mois après l’élection de Tawamba. L’agro-industriel veut écrire sa propre histoire à la tête du Gicam en retournant la page sur l’ère de son prédécesseur André Fotso, décédé un an plutôt. Pour réussir cet aggiornamento, le nouveau président du Gicam décide de se débarrasser d’ABB, arrivé à la tête de l’administration du patronat dans les valises de Fotso en 2011.
Mais ABB va s’avérer difficile à déboulonner. Ce journaliste de formation, ancien directeur de la rédaction du quotidien privé Mutations, est présenté comme un homme de réseaux. De même, il a gardé de solides amitiés dans le monde de la presse. Autant d’arguments qui ont fait reculer Tawamba. Surtout que ce dernier n’avait pas une raison crédible de virer ABB. C’est désormais le cas.
Une source autorisée au Gicam rapporte que lors d’une récente réunion, le patron des patrons a lancé une pique assassine à ABB en lui imputant la responsabilité de la crise managériale qui secoue la maison Gicam en ce moment. Une assez bonne raison pour pousser l’ancien patron de presse à la sortie. Ce n’est pas tout. Pour ne pas compromettre les chances d’une réélection, il faut trouver le bouc émissaire qui va expier l’inconséquence du patronat. ABB n’est pas loin de jouer ce rôle, malgré lui.
Le départ programmé de l’ancien directeur de la rédaction de Mutations va aussi définitivement régler le problème de bicéphalisme à la tête de l’administration du Gicam. En janvier 2020, une étude du cabinet Evolving, qui a pignon sur rue au Cameroun et dans la sous-région, relevait, pour le dénoncer, qu’il existe plusieurs hiérarchies décisionnelles au secrétariat exécutif. D’un côté, ABB qui occupe officiellement la fonction. De l’autre Francis Sanzouango, le directeur de cabinet de Tawamba. Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Voyant qu’il était délicat de démissionner ABB, le président du patronat s’est empressé de créer le poste de directeur de cabinet. En réalité, il a vidé le secrétariat exécutif de l’essentiel de ses prérogatives au profit de Sanzouango. Un ancien secrétaire général du patronat, qui revient de Genève en Suisse où il occupait un poste très lucratif au Bureau international du travail (BIT). Des voix autorisées annoncent même ce dernier au secrétariat exécutif à la place d’ABB. Le profil de Sanzouango a en tout cas de quoi rassurer les patrons.
Interview de l’économiste Théophile Onana : « Il faut interroger la capacité du Gicam à négocier »
Mais avant de quitter l’ombre du cabinet du président pour la lumière du secrétariat exécutif, Sanzouango doit conclure le projet de rédaction du livre blanc de l’économie camerounaise. Un impératif majeur. Alors qu’il entre dans la dernière ligne droite de son mandat, Tawamba s’interdit de franchir la ligne d’arrivée sans avoir présenté au public ce document, qui va servir de boussole stratégique au patronat. L’idée de ce livre blanc lui avait été suggéré par Emmanuel de Tailly, le directeur général de Société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC). Ce baron du groupe Castel voyait mal comment une organisation patronale comme le Gicam peut fonctionner sans une vision stratégique. « Il a toujours expliqué que le Gicam doit avoir sa vision à côté de celle du gouvernement », fait savoir un journaliste économique.
La proposition a visiblement séduit Tawamba, qui en a fait un des principaux objectifs de son mandat. C’est Sanzouango, l’influent directeur de cabinet, qui a l’oreille du président du Gicam, qui a reçu la mission de coordonner la rédaction de ce journal. Malheureusement pour lui, à quelques mois de la fin de ce mandat, il n’y a toujours pas de livre blanc. Une absence qui pèse comme une épée de Damoclès sur la tête du président sortant. Il ne lui reste plus que six mois pour mener à bien ce projet éditorial. Mais tout n’est pas de publier ce document stratégique, il faudra en plus le faire accepter à coup de campagnes de lobbying.
Dans les milieux d’affaires, on a bon espoir que ce livre participe à structurer le plaidoyer du Gicam. Qui peine à faire entendre ses revendications. Ces trois dernières années en tout cas, le patronat a fait chou blanc. Plus précisément quand il a s’agit de convaincre le gouvernement de desserrer l’étau de la pression fiscale sur les entreprises.
Tawamba avait pourtant fait de ce plaidoyer le cheval de bataille de son mandat. Une bataille qu’il a perdue. Le président du Gicam l’a lui-même reconnu il y a quelques mois. Dans une interview qu’il a accordé à notre confrère Jeune Afrique. Dans cet entretien, il regrettait l’inflexibilité du gouvernement sur cette question en arguant que Yaoundé a peur du changement tout comme il a peur de perdre en recettes fiscales.
Il est fort à parier que Tawamba remonte à l’abordage pour la deuxième bataille de cette guerre fiscale entre le gouvernement et le secteur privé s’il est réélu en décembre. Pourra-t-il faire plier le gouvernement cette fois ? « Le patronat fait des propositions, après il revient au gouvernement de les accepter », indique l’économiste Théophile Onana.
Néanmoins, s’il veut garder son poste, Tawamba doit démontrer aux patrons qu’il est capable de faire bouger les lignes. Il a l’avantage d’être un va-t-en-guerre et une grande gueule. Il n’hésite pas à utiliser des mots sombres pour qualifier la fiscalité au Cameroun : « confiscatoire », « redoutable », « prédatrice ». Le problème c’est qu’il faut plus que des mots. Il faut de la constance dans l’action, si on en croit des contempteurs du président du patronat. Ils reprochent à Tawamba d’être parfois trop présent, bien que l’efficacité de son plaidoyer soit sujet à caution. Parfois complètement absent.
Emmanuel de Tailly en a fait l’amère expérience en mars 2019. Alors que SABC et les autres brasseurs du pays décident unilatéralement d’augmenter le prix de la bière à cause de trois dispositions fiscales, qui crée un nouveau droit d’accises, après celui de 2016, sur les matières premières importées entrant dans la fabrication des boissons alcoolisées. Une situation qui débouche sur une violente guerre de tranchées. Pour cause, le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, et celui du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, s’opposent énergétiquement à cette hausse unilatérale. Ils demandent à SABC et aux autres de garder les prix inchangés. Une bataille pendant laquelle Emmanuel de Tailly apprécie mal le silence du président du Gicam.
Depuis cette fâcherie, quelque chose a cassé entre les deux hommes. Et pourtant, de Tailly avait grandement contribué à rassembler des voix au sein des entreprises françaises, membres du Gicam, au profit de Tawamba en 2017. Il n’est plus sûr que le patron de SABC accorde une fois encore sa confiance au président sortant pour l’élection de décembre. Plus grave, dans les salons cossus de Douala, il est dit que de Tailly a d’autres plans pour décembre prochain… Tout est possible surtout depuis que les milieux d’affaires soufflent qu’un patron, bien introduit dans les cercles de pouvoir et respecté de ses pairs, affûte ses armes en silence, loin des regards.
© Michel Nga Atangana ► Correspondance