► Eliane Bouba et 3 de ses 5 enfants vivent désormais à Timangolo, un site situé dans la région de l’Est où vivent des réfugiés centrafricains. Contrainte de quitter sa terre natale dans l’Extrême-Nord du Cameroun, elle tente de surmonter le cauchemar des exactions de Boko Haram. C’est dans un état de tristesse et d’espoir, loin du fief de ses ancêtres que nous l’avons rencontrée.
Afrique54.net › Il est 17 heures 45 ce jeudi du mois d’octobre 2024, le soleil est sur le point de se coucher lorsque nous entrons à Timangolo. Des femmes s’activent çà et là. Les unes se ruent à la recherche de l’eau potable. Les autres reviennent de leurs activités génératrices de revenus. Certaines, en compagnie de leurs enfants non scolarisés. Au milieu de ce décor, à l’entrée d’une case en briques de terre, une femme couleur ébène nommée Eliane Bouba, nous accueille, le regard hagard, assise sur une natte.
Un destin croisé
A quelques mètres d’elle, une marmite vide et noircie de l’extérieur attend désespérément son contenu pour être placée au feu de bois. A proximité, pieds nus, des enfants jouent au football dans la poussière. Dame Bouba passe le clair de son temps sur sa natte. Comme elle, nombre de femmes, affligées par les affres des conflits armés, souffrent en silence.
A Timangolo, dans l’arrondissement de Kété, département de la Kadey, région de l’Est Cameroun, le beau spectacle du coucher du soleil en cette fin de journée, contraste avec le cafard qui habite le cœur d’Eliane. Au milieu de la forte communauté de réfugiés centrafricains et des Mbororos du Cameroun, elle fond dans la masse.
Une zone en proie aux problèmes de sécurité
Dans les localités de la région de l’Extrême-Nord, il était de tradition pour les chefferies d’organiser des razzias dans l’optique de faire oublier les mauvaises récoltes aux populations. Cette pratique inspire bon nombre d’adolescents en quête de moyens de survie. Ceux-ci n’hésitent pas à intégrer les bandes de coupeurs de route appelés localement zaraguinas.
En fin 1990, ces bandes criminelles se sont professionnalisées, recrutant des personnes de nationalités diverses qui opèrent aux frontières des Etats situés autour du Lac Tchad. Ces hors-la-loi s’activent aussi dans les conflits intercommunautaires de tenure.
La nuit où tout a basculé
A cause de l’extension des exactions de Boko Haram à l’Extrême-Nord du Cameroun, Eliane Bouba, son époux berger et leurs cinq enfants ne mènent plus une vie paisible. Au cours d’une nuit qualifiée de folle, des éléments de Boko Haram ont incendié une multitude d’habitations dans leur localité. La leur a malheureusement connu le même sort.
Les yeux remplis de larmes, Eliane nous relate son histoire. « Quand la guerre est arrivée cette nuit-là, je suis partie de la maison, sans habits ni chaussures, avec un pagne sur moi. Mon mari criait »sortez, ils arrivent ». Il a porté notre fille de 3 ans et moi le garçon de 5 ans ainsi que le bébé. Les deux grandes filles de 12 et 13 ans ont fui de leur côté ».
Des douleurs profondes et muettes
« Les moments de crises, de guerres, de catastrophes naturelles sont des grands moments de déchirure, de désorganisation autant de la société en général que des vies humaines en particulier. Les familles n’y échappent point. Ainsi, pour une famille ayant connu une crise ou guerre dans un pays natal, et qui se trouve disloquée sur fond de l’instinct de survie, les membres ne peuvent que se retrouver dans une profonde angoisse liée à la séparation d’avec les autres membres de la famille perdus de vue. Donc, une mère séparée de toute ou partie de sa famille ne peut que vivre des moments difficiles, de l’angoisse de perte, de l’angoisse d’attente, de la mélancolie… Ces douleurs muettes peuvent s’entrechoquer et certains aspects être vécus avec une extrême atrocité », analyse le Professeur Gustave Georges Mboe, psychologue et Chef de Département de Philosophie, Psychologie, Sociologie à l’Université de Dschang.
Une inversion de rôles au sein de la famille
Le conflit de Boko Haram a à la fois un effet d’amplification et d’occultation de ces problèmes qui ont engendré des milliers de déplacés internes, des enfants non scolarisés et aggravé la pauvreté. Chez Eliane, les rôles sont désormais inversés. Oumar son fils est la mamelle nourricière de la famille. A 16 ans, il passe ses journées dans les chantiers miniers. Il subvient aux besoins de sa sœur de 14 ans et de son frangin de 11 ans, scolarisés grâce à un programme de scolarisation d’enfants réfugiés.
Des positions souvent incomprises
« Pour rien au monde je ne peux plus retourner à Hilé Alifa. J’en garde de très mauvais souvenirs. J’ai marché des semaines durant pour avoir la vie sauve. Quand on nous a attaqué, les coups de feu fusaient de partout », affirme Eliane, qui dit avoir rejeté la demande de son mari, lui instruisant de regagner son foyer.
« L’archétype de la famille traditionnelle ou idéale composée exclusivement du père, de la mère et des enfants biologiques entre en difficulté profonde en temps de guerre. Certains parents, en fonction des effets de ces guerres dans leurs vies personnelles, peuvent adopter des « comportements suicidaires » ou incompris aux yeux de la société qui les entoure », précise le professeur psychologue.
Des mesures de résilience
L’action des forces de sécurité camerounaises contre Boko Haram dure depuis plus de 10 ans, son impact sur l’économie, la paix, le quotidien des populations, les droits et les libertés est indéniable. Eliane fait preuve de résilience. Battante, elle a acquis une parcelle de terre où elle a construit une maison et pratique l’agriculture. Cela cadre avec la composante Femme, Paix et Sécurité des Nations Unies visant à accompagner le gouvernement.
« Nous avons au sein d’ONU FEMMES au Cameroun, une composante dénommée Femme, Paix et Sécurité, qui s’adresse aux femmes impactées par les crises. Ce programme assiste sur le plan humanitaire aussi bien les femmes déplacées que les femmes réfugiées », précise Marie Pierre Raky Chaupin, Représentante Résidente d’ONU FEMMES au Cameroun.
© Afrique54.net │Thierry Eba