Manifestations anti Paul Biya de Genève : Les confidences d’un co-organisateur
Hilaire ZOYEM, co-organisateur des Manifestations du 17 Juillet 2021 à Genève en Suisse, dit avoir démissionné de la BAS. Une organisation présentée comme «une multinationale de l’anarchie» par Robert Bapooh Lipot, haut responsable de l’UPC, au cours de l’émission dominicale de Vision 4 «Club d’Elites » du 25 juillet 2021.
Hilaire ZOYEM a accordé une interview exclusive à La Voix Des Décideurs et Afrique54.net où il revient de fond en comble sur ces manifestions ayant été abondamment condamnées par la classe sociopolitique.
Vous êtes présenté comme l’un des organisateurs officiels des manifestions du 17 Juillet 2021 à Genève en Suisse. Vous reconnaissez-vous dans cette casquette ?
Je n’ai fait là que ce que tout Camerounais fier et soucieux du devenir de son pays devrait faire. D’ailleurs, des camerounais se bousculent, encore actuellement, pour déposer des demandes d’autorisation à manifester. À l’occasion de cette manifestation du 17 juillet, un consensus s’est dégagé pour que je m’en occupe, compte tenu de mon expérience en la matière.
En clair, qui est Hilaire ZOYEM ?
Hilaire ZOYEM est un citoyen camerounais dans le cœur et dans l’âme qui aime son pays le Cameroun et pose des actes citoyens pour le bien et l’intérêt du Cameroun et des Camerounais.
Pourquoi une telle démarche ?
Comment rester les bras croisés quand on voit la situation calamiteuse dans laquelle se trouve le Cameroun à maints égards?
L’heure ne me semble plus être au diagnostic qui a été établi dès le début des années
Hélas, la situation n’a fait que s’empirer. Regardez où nous en sommes avec les droits et libertés dans ce pays : il n’existe plus de liberté d’opinion ni celle de manifester ; l’expression électorale n’est qu’une illusion à peine entretenue par le pouvoir en place pour les prébendes qui en découlent ; des civiles sont trainés au tribunal militaire en parfaite violation de la loi ; des citoyens sont maintenus en détention préventive pendant presque 2 ans, certains pour avoir eu l’intention de manifester.
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Sur le plan social, la situation n’est pas plus reluisante : la pauvreté s’étend, les scandales de corruption se multiplient sans que le pouvoir n’ose ne serait-ce que dénoncer ces actes dont les acteurs sont connus et visiblement protégés.
A-t-on besoin de rappeler la situation calamiteuse dans laquelle se trouvent les finances et en général l’économie du pays ?
Mais il y a pire : la guerre qui sévit actuellement dans les régions anglophones du pays et qui a fait de milliers de victimes civiles. Guerre qui au-delà des revendications légitimes des populations locales, est le fruit de l’arrogance de ce régime que Monsieur Biya a mis en place depuis 1982, date à laquelle lui a été confié le destin du Cameroun.
Depuis le début de cette sale guerre, malgré les appels des Camerounais de tout bord et de la communauté internationale, M. Biya n’a daigné entreprendre quoi que ce soit pour y mettre un terme ou du moins entamer un dialogue approprié. Au contraire, il semble préférer entretenir cette guerre larvée afin d’enrichir ses réseaux et de se payer des vacances pour lui et sa famille dans les Palaces dorés en Suisse.
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Non, la question du pourquoi d’une telle démarche me semble superflue. S’il y en avait la possibilité, je suis sûr que chacun des 25 millions de Camerounais le ferait, autant chaque Camerounais a au minimum un motif de manifester publiquement. Hélas, ce droit leur est systématiquement refusé par le pouvoir en place.
Une certaine opinion vous présente assez souvent comme un groupe tribal. Pouvez-vous nous dire qui sont les manifestants de ces mobilisations ? Et d’où viennent-ils ?
Il est étrange que certains aient une telle vision, je ne parlerais même pas d’une analyse, ce serait trop leur faire honneur, de la situation.
De prime abord, je tiens à préciser que nous ne tenons pas un registre de l’origine tribale des manifestants. Demandez plutôt à ceux qui avancent de telles inepties de vous soumettre les preuves de leurs assertions.
Plus généralement, la question de la provenance des manifestants devrait-elle se poser en pareille circonstance? L’essentiel est de savoir si les manifestants sont camerounais ou pas. Écoutez, je suis un activiste des droits de l’Homme. En la matière, lorsqu’il y a violation des droits et libertés fondamentales d’une personne comme c’est le cas systématiquement au Cameroun de nos jours, c’est tous les êtres humains, sans considération de nationalité, de race, de genre, ou de toutes autres caractéristiques, qui sont interpellés et devraient se lever contre. On se souvient des manifestations anti-apartheid qui n’étaient pas réservées aux seuls sud-africains. Tel a encore été le cas, assez récemment, des manifestations Black Lives Matter qui n’ont pas été l’apanage des noirs américains. Donc, l’origine des manifestants m’importe peu. Personnellement, je serai tout autant fier de me retrouver à manifester avec 10 Suisses, Français ou Russes qu’avec 10 Camerounais, qu’ils viennent tous de Ngog Mapubi ou de Sangmélima.
La BAS est-elle une organisation violente, terroriste … ?
Cette question est passablement provocatrice me semble-t-il. En tout état de cause, je vous prierais de vous tourner vers les leaders de ce mouvement qui sont bien connus pour obtenir une réponse idoine.
Mais d’ores et déjà, j’observe qu’il existe des instruments juridiques, autant sur le plan national qu’international, qui définissent la nature terroriste des mouvements politiques. À ma connaissance, aucun État ou institution nationale au ou internationale ne s’est jamais posé la question. Même les institutions camerounaises ne l’ont pas fait.
« Même si je ne suis plus à la BAS, je n’ai pas de problème ni avec la plupart des leaders ni avec leur lutte »
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Il s’agit-là plutôt d’une manifestation de l’atrophie intellectuelle avancée de quelques zélotes du régime en place qui, par paresse ou oisiveté, écument les plateaux TV dominicaux en répandant leurs flagorneries, espérant ainsi se faire bien voir du régime, sachant combien ce dernier a tendance à récompenser la bêtise au détriment de l’intelligence. C’est d’un non-sens sans nul autre pareil et ne mérite pas plus de considération que cela.
Vous semblez porter des revendications. Avez-vous saisi officiellement les autorités de Yaoundé ? Si oui, quelle est la suite qui a été donnée ?
Comment saisit-on les autorités de Yaoundé ? Avez-vous un exemple à me présenter ? Est-il encore besoin de dire que l’on fait face au régime politique des plus hermétiques qui puisse exister ? Même dans le parti communiste chinois, il existe des canaux pour faire remonter les revendications de la base. Qu’a-t-on véritablement comme solution face à un régime dont la morgue vis-à-vis des opposants et des « proposants » est un trait de caractère ? Narguer les opposants et les populations et faire preuve d’arrogance à outrance est tout ce que M. Biya et ses hommes de main ont comme réponse à toute proposition de dialogue.
Je l’ai dit plus haut. On a assez perdu en temps et en énergie à analyser, diagnostiquer et proposer. Il est temps d’agir pour que survienne le changement.
Que revendiquez-vous exactement ?
Le changement. Pas celui d’un homme, celui du système. Pas seulement celui de la façon de faire, celui de la façon de concevoir. Nous réclamons donc un changement de fond. À commencer par le respect du citoyen camerounais. J’entends par là la restitution au citoyen camerounais ses droits et libertés fondamentaux.
Qu’attendez-vous du Président de la République Paul Biya ?
Qu’il se retire. Qu’il se retire sagement. Après 38 ans de présidence sans partage. Pendant qu’il est encore temps. On ne peut plus rien attendre d’autre de lui. Il n’en a ni les capacités physiques et intellectuelles, ni la sagesse politique, ni la bonté du cœur indispensables pour conduire les camerounais vers leur destin. C’est un boulet que le Cameroun et l’Afrique traînent depuis de nombreuses années.
Ne pensez-vous pas qu’une telle mobilisation en terre étrangère aura un impact sur l’image de marque du Cameroun ?
Effectivement, nous attendons que la manifestation ait un réel impact sur l’image de marque du Cameroun. Mais un impact positif qui nous laverait de l’opprobre que représente M. Biya et sa clique.
Pour ceux qui pensent le contraire, je rappelle ici qu’il faudrait qu’une fois pour toute, qu’on arrête avec le chantage au patriotisme. Surtout que l’exigence semble être à sens unique et non réciproque.
Dites-moi : entre des manifestants pacifiques et les hommes de pouvoir qui ont détourné 180 milliards destinés à la lutte contre la Covid-19 ; entre des camerounais ordinaires et ceux, émanant des réseaux connectés au pouvoir, qui font glisser une CAN après avoir volé 2000 milliards ; entre celui qui manifeste son mécontentement sous le soleil et souvent les gaz lacrymogènes, sur la Place des Nations à Genève pendant un après-midi, et celui qui se la coule douce à l’Hôtel Intercontinental pendant des semaines pendant que son épouse rase les couloirs du Festival de Cannes par pur fanfaronnade et gloriole ; entre celui qui vient crier sa colère à la face du monde parce que les hôpitaux et les cliniques du Cameroun sont devenus de véritables mouroirs à ciel ouvert aux tarifs pourtant inhibitifs au regard au chantage aux soins auquel sont soumis les patients et celui disais-je qui se fait entretenir et soigner au frais du contribuable soit au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à l’Hôpital universitaire de Genève (HUG), à la Clinique Cécil à Lausanne ou encore à la Clinique de Valmont à Glion près de Montreux ; etc., qui ternit l’image du Cameroun ?
Sachez que le Camerounais que nous sommes, désormais conscients de notre mission et de notre devoir, sommes insensibles au chantage au patriotisme. D’autant plus que les seuls fossoyeurs du patriotisme sont en face.
Des informations relayées dans les réseaux sociaux faisaient état de ce que lesdites manifestations ont été annulées. Qu’en était-il exactement ?
Il faudrait peut-être convoquer ici la sagacité des spécialistes, en particulier du droit suisse, pour vous éclairer sur la nuance qui semble échapper à beaucoup de personnes, entre la non-autorisation et l’interdiction en matière de libertés publiques. Cela étant, j’aimerai ici dire que l’autorisation verbale qui nous a été donnée suite à l’entretien avec la police de Genève a été contredite par une décision écrite notifiée 24h avant la manifestation. Un recours a été introduit.
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Entretemps, les personnes qui s’étaient déplacées de partout dans le monde ont tenu à exprimer leur mécontentement non plus seulement vis-à-vis de Monsieur Biya, mais également vis- à-vis de cette décision portant refus d’autorisation qui laissait soupçonner une collusion entre la Suisse, chantre de la neutralité et des droits l’Homme et le régime corrompu et sanguinaire de Yaoundé. Elles ont pu le faire et comme vous l’avez constaté, personnes n’a été arrêtée à la suite de la manifestation malgré les heurts constatés.
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J’aimerais par ailleurs préciser que notre recours contre la décision de manifester semble avoir prospéré puis que nous avons obtenu une nouvelle autorisation de manifester le 22 juillet 2021, cette fois, sous les fenêtres même du dictateur à l’Hôtel Intercontinental, ce qui constitue selon moi une évolution positive des autorités genevoises et suisses face à la compréhension qu’elles ont de nos revendications. Nous entendons faire de cette dernière autorisation une démonstration du caractère pacifique et non violent de notre lutte.
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Votre mouvement a-t-il un rapport avec un quelconque parti politique notamment le MRC ?
Contrairement à ce que certains hurluberlus proclament à tue-tête depuis quelques temps, notre mouvement, qui est un regroupement de Camerounais et non Camerounais, faut-il le préciser, tous en colère contre le pouvoir en place au Cameroun, n’a aucun lien institutionnel avec un quelconque parti politique du Cameroun. Il va de soi que les partis politiques autant ceux de l’opposition que celui au pouvoir, regorgent de camerounais en colère qui tout naturellement peuvent se retrouver dans nos manifestations. On y trouve des camerounais de toute tendance donc.
Une liste de 12 personnes « interpellées par la Police suisse » est en circulation dans les réseaux sociaux. Pourquoi votre nom n’y figure pas ? Comment avez-vous fait pour y échapper ?
Il ne s’est pas agi d’échapper à quoi que ce soit en ce qui me concerne.
Vous faites allusion là à un groupe de personnes qui a essayé de s’introduire à l’Hôtel Intercontinental le vendredi 16 juillet, soit la veille de la manifestation. Je n’y étais pas tout simplement. Ils sont poursuivis exclusivement pour fait d’intrusion dans une propriété privée et pas du tout pour organisation ou participation à une manifestation.
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J’aimerais en profiter pour vous informer qu’ils ont été et sont toujours juridiquement assistés dans leurs procédures judiciaires par des avocats du réseau Respondere Advocatus qui fait un travail remarquable à cet égard.
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Au final la mobilisation semble n’avoir pas connu une grande adhésion. Êtes-vous déçu ?
L’objectif de la manifestation était de dire au monde entier que Paul Biya est persona non grata à Genève au regard des crimes qu’il commet ou qu’il chapeaute contre le peuple camerounais et contre l’humanité toute entière.
Au regard de l’écho politique et médiatique reçu, raison d’ailleurs pour laquelle vous nous ouvrez vos colonnes ce jour, nous estimons que l’objectif a été atteint au-delà de nos espérances. Sincèrement, nous n’en attendions pas plus !
Interview réalisée par Marcien Essimi et Thierry Eba
© La Voix Des Décideurs & Afrique54.net