Cameroun : Des magistrats entre frustrations et soulagements
► Au lendemain de la tenue du Conseil Supérieur de la Magistrature, si l’on peut se réjouir de la tenue de ces assises, plusieurs observateurs de la sphère judiciaire camerounaise par contre expriment des craintes quand aux frustrations subies par certains magistrats.
Afrique54.net – Véritable mouvement de forte amplitude dans ce corps essentiel dans la vie de la nation, à l’issue d’un Conseil Supérieur de la Magistrature présidé selon nos confrères de Cameroun Tribune, par le Président de la République Paul BIYA, ce 10 août 2020, au Palais de l’Unité. C’est également l’entrée en fonction de nouveaux membres dudit Conseil, dont le magistrat Abel Minko Minko, nouveau Secrétaire du Conseil Supérieur de la Magistrature.
L’on se souvient qu’il y a un mois, le chef de l’État avait procédé à la nomination de nouveaux membres au sein de cette instance supérieure de la magistrature. Une session donc qui a fait le rappel de tous les membres, titulaires et suppléants comme le prévoit la loi.
La grosse surprise
« Ne faire que la promotion des magistrats peut éventuellement envoyer un message, si ce n’est pas partiel, c’est au moins partial. Ce qui tend un peu à donner à l’opinion publique l’impression que les magistrats peuvent faire ce qu’ils veulent, ils peuvent être médiocres, on peut avoir les soupçons qu’on veut, la seule décision que le CSM peut prendre, ça ne peut être qu’une décision de promotion», a confié Me Claude Assira, avocat au barrot du Cameroun, au micro de nos confrères d’Equinoxe Radio.
Aucun dossier disciplinaire enregistré d’après les services de la Présidence de la République, après une longue attente de trois années. Aucun Conseil de discipline donc! C’est dire que dans les rangs de la magistrature ne se retrouve aucune brebis galeuse. Assez curieux, dans un contexte où l’on sait quel rang occupe cette administration au Cameroun, selon l’indice de perception de la corruption mise en place par la Commission Nationale Anti Corruption et rendu publique en 2017. Les travaux du conseil ont par contre consisté à traiter les intégrations, les mutations, les nominations ainsi que des avancements au grade de certains magistrats.
Les gagnants de ces assises
Au terme desdits travaux, le Président de la République à signer d’importants décrets au sein de ce corps dans lequel une bonne frange du personnel avait atteint l’âge de la retraite. Une réorganisation marquée par l’entrée en scène de nouveaux magistrats à la tête de plusieurs juridictions. C’est le cas des trois chambres de la Cour suprême qui accueille: Joseph Fongang Fokwe à la Chambre judiciaire, Daniel Eteki Ndoumbe à la Chambre administrative, et Yap Abdou à la Chambre des comptes. Quid du Tribunal Criminel Spécial, dirigé désormais par deux dames.
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Annie Noëlle Bahounoui Batende a été désignée présidente du TCS, en remplacement d’Emmanuel Ndjere, muté à la Cour suprême, retrouve la procureur Justine Aimée Ngounou à ce poste depuis 2015. Elle devient ainsi, la toute première femme à tenir les reines de cette juridiction spéciale, pilotage de l’opération épervier.
Agée de 58 ans, elle fait très certainement partir des gagnants des assises de ce Conseil du 10 aout 2020. Tous comme ces auditeurs de justice qui vont faire leur entrée dans ce corps. Notamment ceux spécialistes de la Common Law, branche créée en 2017 au sein de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. Au lendemain de la des revendications des avocats d’expression anglaise, qui s’offusquaient de la prégnance de personnels judiciaires francophones dans les prétoires des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest.
Les lésés du dernier Conseil
Ils se retrouvent entre les lignes de la déclinaison faite à l’article premier du décret n°95/048 du 8 mars 1995 portant statut de la magistrature, d’une part entre les magistrats du siège et du parquet en service dans les juridictions; d’autre part, les magistrats en service au ministère de la justice, ainsi que ceux en détachement.
Si pour Me Claude Assira Engoute, les choix semblent judicieux dans l’ensemble : « J’ai le sentiment que les bons magistrats ont été promus, même s’il faut encore le démontrer à travers des exemples bien précis», il n’en demeure pas moins que certains observateurs comme une catégorie de magistrats ruminent en silence ce que d’aucuns pourraient qualifier d’injustices.
« Je ne peux pas comprendre qu’après 60 ans d’indépendance, qu’avec autant de bons magistrats que la région de l’Est regorge, qu’aucun de ses fils n’ai jamais été porté à la tête d’une juridiction de dernier recours ou d’exception. Nous sommes nombreux, ces minorités à avoir le sentiment d’être des camerounais à part », confie Pontien Metsam, étudiant a l’Université de Bertoua. Pourtant selon l’article 10 alinéa(1): « L’échelonnement indiciaire des magistrats… est fixé par le statut. Et l’alinéa(2) de poursuivre: « L’avancement d’échelons à l’intérieur de chaque groupe ou grade est de droit tous les deux ans. Il est constaté par décret.
« J’ai un proche à moi, magistrat depuis plus d’une décennie, qui peine à voir ses avancements passer. Il n’a jamais fais l’objet d’aucune sanction, mais reste au même poste depuis sa sortie de l’Enam. Cette fois encore les décrets à l’issue des assises du CSM l’ont à nouveau ignoré », nous confie une source sous anonymat. Quid de ces magistrats hors hiérarchies dont les indices et avancements marquent le pas sur place depuis plus de 5 ans et cloués au même poste.
A côté des frustrations, la question de l’argent n’est pas en reste. Dans cette gestion opaque des primes et autres avantages des magistrats au sein de plusieurs juridictions. Notamment à l’égard des jeunes magistrats, ignorants pour la plupart, et qui embrassent nouvellement cette carrière.
Pourtant l’alinéa(3) est clair: « Le régime des indemnités et avantages spécifiques des magistrats est fixé par décret ». Autant d’éléments prévus par la loi qui peinent véritablement à se traduire dans les faits. Et constituent le socle des évictions que vivent certains magistrats, tout comme une bonne franche de travailleurs, faute d’un système de gestion automatisé des ressources humaines de l’Etat.