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Un historien  à Paul Biya : «…J’ai peur…que la Providence ait décidé de vous sortir de l’histoire par la porte arrière »

Un historien  à Paul Biya : «…J’ai peur…que la Providence ait décidé de vous sortir de l’histoire par la porte arrière »

 

Dans une lettre ouverte  datant du 24 mai 2020, Dr Tchouankap Jean Claude, Historien – Chercheur – Écrivain, Professeur des Lycées d’Enseignement Général à la retraite,   regarde l’ histoire dans le rétroviseur sur une longueur de 38 ans de présidence sur un total de 58 ans depuis » son « recrutement à la Fonction publique en Octobre 1962 à l’âge de 29 ans ». Il exprime ses craintes et sa peur à Paul Biya : «…J’ai peur… » « Que la Providence ait décidé de vous sortir de l’histoire par la porte arrière ».

 

 

Lettre à Son Excellence Paul Biya, Président de la République, Chef de l’Etat

CAMEROUN LE 24 MAI 2020

 Objet : « …J’ai peur…  »

M.Le Président,

Permettez-moi de sacrifier à la politesse à la suite de ceux qui l’ont fait avant moi, de vous adresser mes sincères félicitations à l’occasion de votre retour sur la scène politique le Mardi 19 Mai 2020.

M, le Président,  je ne vais pas m’attarder sur les commentaires qui ont précédé et suivi ce rare message à la nation.

Ce qui précède me permet de contextualiser la Lettre que je vous adresse.

C’est pour la 2eme fois que je vous écris. La 1ere fois eut lieu en Juillet 1984. J’étais alors Étudiant en 2eme Année de licence au Département d’histoire et géographie de l’Université de Yaoundé. M. le Chancelier de cette institution Pr Joseph Owona avait répercute  auprès des Étudiants l’ardent désir de M. le Président de la République d’obtenir les réactions des Étudiants suite à son discours à la nation du 17 Mai 1984.

 

 

M. le Président, en cette année 2020, il y a 36 ans, le 6 Avril 1984, une mutinerie au sein de la Garde Présidentielle et de la Gendarmerie coordonnée par le « Mouvement JOSE » a sensiblement ébranlé le socle des institutions de la République. Au sortir de ce que le Gouvernement a qualifié de « Tristes événements de Yaoundé  » vous avez adressé à la nation trois discours.

Le 1er, celui du 7 Avril a duré 3 mn.  C’est le discours le plus cours que vous ayez prononcé depuis votre accession à la Magistrature suprême  un certain 6 Novembre 1982.

Le 2eme, celui du 9 Avril rassurait les Camerounais que le calme est revenu sur toute l’étendue du territoire national et qu’ils pouvaient en toute sécurité vaquer à leurs occupations. Le 3eme discours, celui du Jeudi 17 Mai 1984 annonçant la fin de la crise passera dans l’histoire comme le plus profond de  votre carrière présidentielle après celui du 6 Novembre, lors de la prise du pouvoir.

Trois interrogations ont rendu ce discours éternel :

1 – « Pourquoi sommes-nous Camerounais ? « 

2 – « Qu’est-ce qui nous rend fiers de l’être ? « 

3.- « Quel Cameroun voulons-nous pour nos enfants ? »

  1. le Président, la tonalité de cette communication ainsi que sa portée historique ont confirmé une des constances de l’histoire qui veut que les crises sont les circonstances à la fécondation des grands hommes.
  2. le Président, lorsque la succession des événements m’amènent aujourd’hui à remonter les déjà 38 ans de votre séjour glorieux au Palais d’Etoudi, mes « peurs » commencent à s’installer.

 

 

M, le Président,  « …J’ai peur…  »

Malgré toute la frayeur qui a enveloppé la cité capitale Yaoundé le Samedi 6 Novembre 1982. J’ai bravé toutes les intempéries pour me retrouver dans la vaste cour du Palais de l’Assemblée Nationale pour être témoin de l’histoire. À partir de cette position,  j’ai vu arriver le Premier Ministre Paul Bisa. Je l’ai vu entrer dans l’hémicycle. À 10 heures, conformément au message d’adieu d’Ahmadou Ahidjo du 4 Novembre, vous atteignez le firmament  de son histoire. Le discours de circonstance allait le confirmer.

Trois nouveaux concepts vont désormais enrichir le lexique politique du Cameroun :

1.- « RIGUEUR dans la gestion de nos ressources  »

2 – « MORALISATION de nos comportements »

3 – « DEMOCRATISATION de la vie publique nationale ». Le tout enveloppé dans le vocable « Renouveau national »

Les témoignages concordants ont été revêtus du sceau de l’unanimité pour affirmer que ce qui se passait au Palais de verre de Ngoa-Ekéllé était loin d’être un simple changement de personnes dans un fauteuil présidentiel mais un profond changement de style.

M.le Président, « J’ai peur…  » Lorsque je regarde cette histoire dans le rétroviseur sur une longueur de 38 ans de présidence sur un total de 58 ans depuis votre recrutement à la Fonction publique en Octobre 1962 à l’âge de 29 ans.

 

 

M.le Président, bravant les obstacles et les embûches de toute nature, vous transformez l’UNC en RDPC au terme du 4eme Congrès de ce parti devenu par la force des choses le Congrès fondateur du RDPC. C’était à Bamenda le 24 Mars 1985.

En Janvier 1987, vous avez célébré le 5eme anniversaire de votre aventure présidentielle par la publication en Janvier 1987 de votre chef d’œuvre « Pour le libéralisme communautaire.  »

M.le Président, que de louanges ont accueilli cet ouvrage ! Malheureusement et c’est là l’un des fondements de mes « …Peurs. . ». En 1992, alors qu’il est Député UPC à l’Assemblée Nationale, Pr Thomas Méline déclaré à la presse l’appréciation suivante « Lorsqu’on lit Pour le libéralisme communautaire, il n’y a pas meilleur programme politique, quand on visite le pays du Libéralisme communautaire,  il n’y a pas pires réalisations  »

M.Le Président, en 1988, je suis entré à l’Ecole Normale Supérieure de Yaoundé par voie de concours Major de ma promotion Département d’histoire. Nous avons été accueillis par un décret par vous signé portant Organisation de l’ENS. Le contenu de ce Décret traduisait votre clair engagement que la construction du Cameroun du « Renouveau national  » passait inéluctablement par la mise en place d’une école de qualité. Au nombre des innovations,  ce Décret indiquait les dispositions pouvant conduire le Normalien du Baccalauréat au Doctorat  Afin d’accroître les performances,  les titulaires du Baccalauréat à l’entrée avait obligation d’une inscription en année de licence dans les Facultés et sortaient avec DIPES I. et les autres DIPES II. Ce n’était pas une appellation fantaisiste: « Diplôme de Professeur de l’Enseignement Secondaire Général Grade I ou II. L’idée étant d’aligner les enseignants au rang des grands corps de l’Etat. Pour couronner le tout,  Votre Excellence a institué une « Bourse indiciaire  » pour les Normaliens qui les éloignait de la mendicité dès la formation et un profil de carrière qui les soustrayait des frustrations et mépris se traduisant par ces nominations qui créent des Chefs d’établissement à leur sortie de l’école.

 

 

M.le Président, c’est tellement beau que les Normaliens de cette génération vous ont adressé une lettre de remerciement qui a d’ailleurs obtenu réponse signée de vos mains.

En raison de toutes ces lumières nouvelles, nous avons travaillé à instituer la toge comme tenue des grandes circonstances. Elle a été portée pour la 1ere fois le 3 Août 1990 lors de la cérémonie de remise solennelle des diplômes à la 28eme Promotion. Abdoulaye Babale était Ministre de l’Enseignement Supérieur, Pr Joseph Mboui Ministre de l’Education Nationale, Pr Joël Moulin,  Chancelier et Pr Jean Tabi Manga, Directeur de l’Ecole. J’ai le plaisir de vous faire savoir que j’étais à cette époque le président des Normaliens.

 

 

M. le Président, j’ai la forte conviction que s’il y avait eu un début d’exécution de ce merveilleux projet NJOMI TCHAKOUNTE Boris Kevin ne serait pas dans le malheureux exercice qui l’a conduit à la mort.

M. le Président, « …J’ai peur.   » Du jugement de l’histoire. « …J’ai peur…  » de la honte à l’heure de partir lorsqu’il faudra lancer un coup d’œil sur le passé.

M.le Président, comme tout bon citoyen camerounais, j’ai suivi votre adresse à la nation du 19 Mai 2020 et à la fin j’ai crié « Encore un hors sujet  » Pour 2 raisons. Comme vous l’avez précisé d’entrer, il n’est pas dans vos habitudes de communiquer avec la nation la veille de la fête de l’Unité.  D’ailleurs, c’était la 2eme fois depuis 38 ans. On sait que toutes les fois qu’un Chef s’adresse à son peuple, il traite du global. Et quand le contexte est celui de la Fête Nationale de l’Unité, c’est une opportunité de bilan et de perspectives. Rien de tout cela n’a été évoqué le 19 Mai. Pourtant l’Unité est mise à rudes épreuves. Si le temps a usé les souvenirs,  ce serait une injure et une insulte à votre endroit de faire croire à l’oubli des récents et tristes événements qui ont eu lieu à Sangmélima au lendemain des élections présidentielles d’Octobre 2018. Et depuis lors que de « Tristes événements  » à des dates historiques marquantes :

1.- Pour la 1ere fois prestation de serment 6 Novembre 2018. Or, le 6 Novembre appartient historiquement à Ahmadou Ahidjo

2 – 30 Novembre 2018, jour du 29eme anniversaire du décès d’Ahmadou Ahidjo la CAF retire au Cameroun l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations  Pourtant…

3 – 14 Janvier 2020, Njomi Tchakounte est assassiné par son élève. On se rappelle que c’est un 14 Janvier 1984 que furent organisées les 1eres élections présidentielles anticipées dont le Cameroun subit amèrement les conséquences jusqu’au jour d’aujourd’hui. Qu’a-t-on fait du sang de Kévin à l’heure où les enseignants vont affronter sans défense la terrible guerre contre la COVID-19?

4 – 24 Mars 2020, non seulement pour la 1ere fois depuis 35 ans le RDPC est privé des festivités pour chanter vos louanges,  la COVID-19 emporte dans l’au-delà Manu Dibango.

5 – Pour la 2eme fois,  la Fête Nationale de l’Unité qui vous offre annuellement depuis 38 ans l’occasion d’exhiber votre exubérant devant les Camerounais affames n’a pas eu  M. le Président  » J’ai peur. « Que la Providence ait décidé de vous sortir de l’histoire par la porte arrière.

M. le Président, dans une prochaine sortie je vais essayer de convoquer l’histoire pour vous suggérer ce que vous avez à faire avant de « dire adieu  » au peuple camerounais.

 

Dr Tchouankap Jean Claude, Historien – Chercheur – Écrivain

Professeur des Lycées d’Enseignement Général à la retraite

 

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