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 Camille Sari analyse la situation économique de l’Algérie, un pays qui refuse de faire appel au Fmi

 Camille Sari analyse la situation économique de l’Algérie, un pays qui refuse de faire appel au Fmi

Pour préserver la « souveraineté », le président de l’Algérie, Abdelmadjid Tebboune,  a décidé de ne pas faire recours au Fonds Monétaire International (Fmi) en dépit de ce que l’économiste algérien Camille Sari décrit, dans une interview accordée à nos confrères de TV5 Monde, de « désastre financier » auquel est confronté le pays. Retour sur cette interview en chiffres sur la santé économique d’un géant du Maghreb.

 

TV5MONDE : Quelle est la situation financière du pays ?

Camille Sari : Elle est très mauvaise. Elle est liée à une trop grande dépendance aux revenus des hydrocarbures. Le gaz et le pétrole représentent plus de la moitié de l’activité économique de l’Algérie, la quasi totalité des exportations du pays et 60% des recettes budgétaires de l’État. Or, le budget de cette année 2020 avait été construit sur la base d’un baril à 50 dollars. La crise sanitaire est arrivée et elle est devenue une crise économique mondiale. Et, par conséquent, la demande mondiale en hydrocarbure s’effondre. Le prix du baril de pétrole est tombé à 25 dollars. Le gouvernement algérien prévoit ainsi un recul des recettes d’hydrocarbures à 20 milliards de dollars contre près de 40 milliards dans sa loi de finance initiale. C’est un désastre financier. Il manque plusieurs dizaines de milliards.

 

 

Car, le pays était déjà dans une situation financière fragile avant cette crise sanitaire. Le prix d’un baril de pétrole au début des années 2010 avait grimpé jusqu’à 110 dollars  pour tomber en 2016 à 50 dollars. Les réserves de change du pays ont donc fondu, passant de quelque 200 milliards de dollars en 2014 à 60 milliards de dollars en 2019. L’Algérie n’avait pas été autant en grande difficulté économique et financière depuis le contre-choc pétrolier des années 80. Le pays avait dû à l’époque demander en urgence une aide au FMI en 1988.

Le gouvernement algérien vient d’annoncer en urgence une réduction de 50% du budget de fonctionnement de l’Etat. Est-ce réalisable ? 

 

« Le pays pourrait faire tourner la planche à billets, créer de la monnaie »

Ce sera très difficile. Il faudrait pratiquement diviser par deux le salaire des fonctionnaires. Cela n’est pas tenable socialement. C’est une annonce faite pour contenter l’opinion publique. Il faut montrer que l’État fait des efforts. Le gouvernement va faire des économies et donc il n’augmentera pas les impôts et ne touchera pas aux aides sociales. Le gouvernement pourrait freiner les importations. Mais, là aussi, c’est très compliqué. Le pays importe les biens de première nécessité dont il a besoin pour nourrir sa population, comme les céréales par exemple. Le pays pourrait faire tourner la planche à billets, créer de la monnaie. Mais,  le risque d’inflation est réel et une éventuelle hausse des prix risquerait de fragiliser les plus pauvres.

 

 

Face à de telles difficultés, le président Tebboune a répété que l’Algérie ne ferait pas appel au FMI car c’est une « question de souveraineté ». 

Le FMI, dans la mémoire de nombreux Algériens, renvoie à la crise sociale, puis politique des années 80 et 90. En 1988, le régime, pour faire face à la baisse des prix du pétrole, avait donc fait appel au FMI en 1988 pour sortir de la crise financière. L’État a bien remboursé rubis sur ongle les emprunts contractés auprès de l’institution financière, mais il a dû rapidement réduire très fortement les dépenses sociales. Les émeutes sociales de cette époque en sont la conséquence. Le régime a alors vacillé. Le pays est rentré dans une crise politique puis dans la guerre qui a duré plus d’une décennie et coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes.


« Le régime  ne veut également pas que l’institution financière mette son nez dans les comptes de l’État »


 

Le pouvoir algérien, donc, ne veut pas entendre parler du FMI. Évoquer l’institution financière a un effet désastreux chez les Algériens. Tebboune l’a compris. Le régime  ne veut également pas que l’institution financière mette son nez dans les comptes de l’État. Le pouvoir algérien a une culture du secret et il faudrait que le régime justifie ses dépenses. Elles sont pour certaines excessives, comme les achats militaires, par exemple. L’Algérie est l’un des principaux pays acheteurs d’armes sur le continent.

Comment le pays peut-il alors sortir de cette crise financière sans aide extérieure ?

Il reste encore, dans les caisses de l’État, quelque 60 milliards de dollars de réserves de change. Le régime peut tenir encore deux à trois ans. Mais, à plus long terme, je ne vois pas comment il pourrait s’en sortir. Beaucoup de gens en Algérie vivent de l’économie informelle. Ce sont des vendeurs dans la rue ou sur les marchés. Ces gens-là, avec le confinement qui a été mis en place, survivent difficilement. L’État va devoir dépenser pour faire face à ce désastre social. Il va falloir soutenir les gens économiquement. Si le gouvernement ne le fait pas, il s’expose à une nouvelle contestation politique. Il doit faire des économies, mais en même temps, il doit acheter la paix sociale. C’est une ligne impossible à tenir. Les marges de manœuvre du gouvernement sont quasi nulles.

 

 

* Photo :Farouk D. El Watan

 

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