Hommage à Jérôme Obi Eta ! L’ingénieur et le Ministre
Cette décennie 90 est considérée à juste titre comme perdue. La situation économique très difficile est inédite.
C’est dans ce contexte qu’une équipe gouvernementale est nommée le 07 décembre 1997. A l’époque les camerounaise portent prioritairement les regards sur les faits et gestes de Édouard Akame Mfoumou, Ministre de l’Economie et des Finances.
Objet de tous les regards, il est chargé de conduire le premier programme triennal après 10 années très éprouvantes d’Ajustement Structurel. Mais il y a dans cette équipe aussi un nom qui passe inaperçu: Jérôme Obi Eta, Ministre des Travaux Publics. Il a fait toute sa carrière comme ingénieur et responsable de haut niveau au MINTP.
Il y avait achevé sa carrière trois années auparavant comme Inspecteur Général. C’est donc une maison qu’il connait bien. A son actif, il mesure bien les enjeux et connait aussi toutes les instances et les contours des réformes engagées. Sa nomination intervient dans le sillage de l’adoption de la loi sur la protection du patrimoine routier national autour de laquelle vont graviter toutes les grandes réformes sectorielles.
Sur le plan managérial, il amorce une révolution tranquille atypique. Pas de chasse aux sorcières mais une détermination visible de bousculer toutes les pesanteurs qui garrotent ce MINTP, creuset des principaux faits divers qui inondent les conversations et la presse.
Action
C’est dans ce contexte plein de défis que je suis appelé auprès de lui comme Chef de la Cellule de communication en aout 1998. L’entretien routier est au point mort. Les travaux neufs n’existent pas ou alors se redéploient à la faveur du concours des partenaires. Le Cameroun achève une décennie blanche. Moins de 30 kilomètres de routes bitumées sur fonds propres sur toute l’étendue du territoire.
Les activités qui redémarrent le sont à la faveur de l’IDA (Banque Mondiale) et de l’Union Européenne au travers du PERFED (Programme d’Entretien Routier du Fonds Européen de Développement). Le PST (Programme Sectoriel des Transports) fait le constat d’échec des politiques antérieures. Les partenaires du Cameroun lui imposent un remède de cheval qui démantèle l’ensemble des acquis en matière de transport (fermeture de fleurons du transport urbain et maritime ou privatisation de la compagnie aérienne).
Mais à l’actif des réformes, un mécanisme de financement pérenne des travaux routiers se dessine. D’ailleurs, ils prennent soin de susciter son inscription dans la loi d’avril 96 sur la protection du patrimoine routier. Un fonds routier est né et devient le principal levier du dispositif institutionnel au sein des départements ministériels en charge des routes, de l’urbanisme et de la sécurité routière.
Sous l’impulsion de Jérôme Obi Eta, le MINTP renoue avec l’activité mais surtout se détermine par la culture et la quête des résultats. Il institue une programmation pluri- annuelle des travaux, forme les personnels sur la gestion axée sur les résultats et sanctionne quand cela s’avère nécessaire. Les PME routières naissantes vivent l’âge d’or. Elles sont payées à moins de deux semaines conformément au manuel des procédures du Fonds Routier. Le Ministre n’intervient pas dans le processus de validation et de paiement des décomptes.
Jérôme Obi Eta en bon ingénieur du génie civil arpente, des années durant, les routes du Cameroun pour suivre personnellement l’exécution des travaux sur le terrain. Il nous arrivait de parcourir en une année 10 000 km de piste. Je me souviens de cette année 1999 à Mvengue. L’itinéraire qui reliait cette localité à LOLODORLF avait complètement disparu. La première route du Cameroun n’était même plus une piste d’éléphant.
Le Ministre improvise une séance de travail dans la brousse avec Joseph Gwet Bi Nyem, Administrateur du Fonds Routier, pour examiner les conditions de réouverture de cette route, témoin de notre histoire. A l’époque, le Fonds Routier ne faisait pas d’entretien. Mais il fallait faire quelque chose. Il avait horreur de l’exposition médiatique sans résultat et estimait qu’une route qui passe fait sa propre publicité. « Un Ministre des travaux publics n’a pas besoin d’inutiles éloges dans l’exercice de ses fonctions. Ce sont les usagers qui doivent évaluer son action et non les médias », disait-il. C’était un style où l’efficacité dans la discrétion portait tout son sens.
Jérôme Obi Eta disparait le 15 avril soit plus de 03 mois après le départ sur scène le 03 janvier 2025 d’Emmanuel Bonde, Secrétaire d’ Etat en charge des routes. Ils constituaient un binôme animé par l’atteinte des résultats. Avec lui aussi, nous nous sommes retrouvés en train de partager les bières traditionnelles avec les villageois dans les brousses de l’Est et d’ailleurs.
Anecdote: Pris par une méchante diarrhée au retour de la visite d’inspection de la route Ayos-Bonis en projet de bitumage, j’avais occasionné l’immobilisation dans un bosquet à Atok du cortège ministériel ayant à sa suite les experts du Fonds Saoudien.
Confus et embarrassé par cette situation inconfortable et déshonorante, le Secrétaire d’Etat me rassura que le pire aurait été de déféquer dans la voiture. Ce côté humain et paternel était le dénominateur commun du Ministre et son Secrétaire d’État Emmanuel Bonde. Fait majeur: le dispositif qui avait fait la force du Cameroun dans les années 2000 a été démantelé. Plafonné dans les lois de finances successives, le Fonds Routier est redevenu un simple truc soumis aux aléas du Trésor Public vis à vis duquel il s’était pourtant affranchi à ses débuts. Du gâchis! Certains pays d’Afrique francophones venaient pourtant se mettre à notre école.
A la vérité, Jérôme Obi Eta ne pouvait pas supporter ça sans broncher et sans entreprendre discrètement la levée des blocages actuels qui sont un frein à l’essor du secteur routier. Et ce malgré un dispositif réglementaire bien en place qui rend cette hypothèse improbable.
Par Jean Robert Onana , Ex-Celcom MINTP
Hommage à Jérôme Obi Eta
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